Percement du Col-des-Roches : le renforcement de l’ouverture vers l’international

Les relations entre la Franche-Comté et la principauté de Neuchâtel sont, depuis plusieurs siècles, régulières et fréquentes, elles n’en sont pas moins malaisées. Certes, le passage par les “Portes du Locle” (Col-des-Roches) est connu. Au XIIe siècle, un droit de péage “sur la route de Neuchâtel en Bourgogne” semblait exister à cet endroit-là [1]. D’ailleurs, les échanges avec le Royaume de France sont fréquents et réguliers.  Le philosophe allemand Christoph Meiners (1747-1810) écrit, en 1782, qu’au Locle les vivres sont “importés de la proche Bourgogne et de l’Erguel” [2]. Toutefois, en 1378, la réalisation d’un chemin plus large et plus aisé en direction du Goudebas, par les Malespierres et les actuels Frêtes, est privilégié [3].

En 1833, l’écrivain danois, Hans Christian Andersen (1805-1875) écrit : “maintenant, à la sortie de la ville, nous ne prenons pas la large route, qui conduit à Besançon; nous restons sur la plus petite, qui suit le fond de la vallée […] Des rochers escarpées ferment la vallée. Là se dresse un rocher et si tu y grimpes, tu verras la France” [4].

Bien que se trouvant sur un tronçon somme toute logique, notamment en terme kilométrique, le “mur” du Col-des-Roches constitue un élément naturel difficilement surmontable. L’écrivain et philosophe suisse, Karl Viktor von Bonstetten (1745-1832) écrit que Le Locle, depuis les Moulins, est séparé d’un “rocher qui a 662 pieds d’épaisseur. Mais, au-delà de ce rocher, il y a d’immenses précipices jusqu’à la plaine et aux rives du Doubs. Le percement du Col-des-Roches a donc longtemps travaillé l’esprit des habitants de la Mère commune.

Une idée qui fait son chemin…

Au XVIIIe siècle, Von Bonstetten (1745-1832) écrit encore que “divers habitants du Locle ont entrepris de percer ce rocher et cette idée, peut-être romantique, est tout à fait digne d’un peuple si riche et si laborieux […] “. Le percement du Col-des-Roches (Cul-des-Roches) permettrait de garantir, selon lui, “l’existence de leur région, ils rendraient l’air plus salubre et ils se rapprocheraient de la Franche-Comté dont ils sont maintenant si éloignés, faute de chemin direct” [5]. En 1779, des travaux commencent, mais sont rapidement abandonnés. En effet, le roi de Prusse n’est pas favorable à cette réalisation. Pour le souverain, le percement est non seulement trop onéreux, mais favoriserait grandement les Montagnes au détriment de l’ensemble du territoire et notamment celui du Val-de-Travers [6]. Reste que l’idée fera son chemin. Elle se consolidera… en plusieurs étapes.

La priorité : la maîtrise de l’eau

La position du Locle lui procure un avantage précieux et rare dans nos Montagnes : une grande abondance de sources d’une eau pure et saine, grâce à laquelle on a pu élever dans le village de belles et nombreuses fontaines qui lui donnent un charme particulier. Mais en même temps, ces eaux qui s’arrêtaient dans le fond de la vallée, en faisaient quelques fois une espèce de lac qui a donné son nom à la contrée” [7]. C’est ainsi que Le Messager boiteux de 1851 présentait Le Locle. L’eau a été en effet déterminante pour le développement de la Mère commune. Source de vie comme de mort, l’eau se doit d’être maîtrisée.

Face à des problèmes d’inondations récurrents, voir désastreux (notamment celle de 1750) [8], en raisons des crues du Bied, une souscription publique est lancée pour percer le Col-des-Roches. Le lieutenant Jean-Jacques Huguenin pilote les travaux. Le 15 juillet 1805, les équipes chargées du percement se rencontrent; le 16 août, la conduite est inaugurée. Désormais, Le Locle maîtrise un peu plus encore cette eau, qui fut à l’origine de sa création.

Enfin : Les personnes, les biens et capitaux

Il faut néanmoins attendre 1850 pour que soit inauguré le tunnel du Cul-des-Roches. Sa réalisation favorise ainsi le passage des personnes, des biens et des capitaux entre le territoire suisse et français. Une douane marchandises arrête alors les voyageurs et commerçants venant de la région frontalière. Le passage du Col-des-Roches et son tunnel devient structurant pour le développement de la région.

En décembre 1969, un éboulement de “quelques milliers de mètres cubes” de roche se décroche du Col-des-Roches. Les habitants sont réveillés dans leur sommeil. Le tunnel est obstrué. La circulation est alors fermée durant plusieurs mois [9]. En janvier, “le dynamite”, une nouvelle substance brevetée par Alfred Nobel en 1866, est utilisé pour casser la roche restante, risquant de s’effriter. Néanmoins, cette tentative n’eut pas les effets escomptés [10].

Le XXe siècle et l’explosion de la mobilité

A partir du milieu du XXe siècle, avec l’augmentation considérable de la mobilité, notamment individuelle, Le Locle voit son centre-ville de plus en plus obstrué. Au XXIe siècle, ce processus s’accentue avec la libre circulation des travailleurs et le tonnage admis toujours plus important. Le Locle est pris en entonnoir entre la route de la microtechnique, côté français, et la H20, côté suisse.

Différentes mesures sont alors mises en place. Un projet de contournement est alors élaboré par la Ville et le canton. En 2012, il est déposé auprès de la Confédération. En 2017, la population suisse accepte le Fonds pour les routes nationales et le trafic d’agglomération) et le Conseil fédéral priorise le projet parmi les trois plus importants de Suisse.

Sa réalisation est prévu en 2021 pour une durée de sept ans. Elle permettra dès lors de relier par une voie autoroutière Le Locle à Berne, Zurich, Genève et Paris.

Illustrations

GIRARDET, Charles Samuel (1780-1863), Vue du Col-des-Roches, 1805, In Musée du Col-des-Roches, Le Locle.

Bibliographie

CALAME, Caroline, Et tout près s’ouvre l’abîme… voyageurs au Locle et aux Moulins souterrains (1770-1830), publié par Moulins souterrains, Le Locle, 2003.

CLUB JURASSIEN, Section Col-des-Roches : 125ème anniversaire (1865-1990), Le Locle, 1990.

GUYOT, Charly, Visages du pays de Neuchâtel, Cahier de l’institut neuchâtelois, Editions de la Baconnière, Neuchâtel, 1973.

JUNG, Fritz, Le Col-des-Roches, Editions Annales locloises, Cahier IX, Le Locle, 1951.

PELET, Claude, Historique des transports : Région du Col-des-Roches, Morteau, 1987.

TERRIER, Philippe, Le pays de Neuchâtel vu par les écrivains de l’extérieur : du XVIIIe à l’aube du XXIe siècle, Attinger, Hauterive, 2017.

Notes

1. JUNG, p. 3.

2. CALAME, p. 33.

3. JUNG, p. 4.

4. ANDERSEN, Hans Christian, Conte de ma vie. Tiré de GUYOT, Charly, Visages du pays de Neuchâtel, Cahier de l’institut neuchâtelois, Editions de la Baconnière, Neuchâtel, 1973, p. 183.

5. TERRIER, p. 50.

6. CALAME, p. 54

7. Le Véritable messager boiteux, 1851, p. 47.

8. JUNG, p. 7.

9. Le Véritable messager boiteux, 1871, p. 32.

10. CLUB JURASSIEN, p. 10.

 

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