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Le paradoxe du choix

Avoir le choix est l’une des prémisses de la liberté. Pourtant, une multitude de choix possibles engendre un état de paralysie. 

C’est ce que l’on appelle le paradoxe du choix. Notre société consumériste, basée sur la liberté individuelle, propose une quantité de produits la plupart du temps de qualité similaire, dissimulés sous des marques différentes. 

Face à des options peu pertinentes, le désir et les motivations tendent à s’estomper. 

Ces choix ou cette illusion de choix génère un épuisement de notre cerveau et par là même une paralysie et un sentiment d’insatisfaction

Kant ou la révolution copernicienne de la connaissance

Emmanuel Kant (1724-1804)

Philosophe prussien, né et mort à Königsberg (actuellement Kaliningrad), Kant, fondateur de l’idéalisme transcendantal, est l’un des penseurs les plus importants de la philosophie. Influencé entre autres par les écrits de Rousseau, favorable aux idées révolutionnaires, notamment celles des jacobins (Robespierre), il s’est questionné sur nombre de domaines. Il s’est tout particulièrement intéressé à ceux de la connaissance et de l’éthique. Le premier répond à la question “que puis-je savoir ?” (critique de la raison pure)], le second à la question “que dois-je faire ?” (critique de la raison pratique). 

1. Théorie de la connaissance

Emmanuel Kant aimait à dire que l’anglais David Hume l’avait réveillé de son “sommeil dogmatique”. En effet, face au système de Leibniz et à sa cohérence, Hume réactualise la problématique de la causalité et ouvre la porte à une nouvelle critique de la connaissance. Pour le philosophe anglais, la causalité est une habitude de l’esprit de constater qu’une chose précède une autre. Cette conception basée sur l’habitude et l’association d’idées nous conduit irrémédiablement à un certain scepticisme. Dès lors, par rapport à ce scepticisme revendiqué par Hume lui-même, le philosophe de Königsberg s’interroge : que puis-je connaître ? Comment la science et les connaissances scientifiques pourraient-elles être possibles ?

Jugement synthétique a priori 

Kant distingue :

  • les jugements a priori : ceux-ci sont donnés par la pensée elle-même (ex. : les mathématiques). Ils sont universels et nécessaires.
  • Les jugements a posteriori : ils proviennent de l’expérience et traitent du particulier. Ils ne sont ni nécessaires ni universels. 

Kant distingue également : 

  • les jugements analytiques : ceux-ci se caractérisent par le fait que le prédicat appartient au sujet : “un triangle (sujet) a trois angles (prédicat)” ou “A=A [tautologie]. De même, “tous les corps sont étendus” est un jugement analytique : le concept de corps ne peut se représenter sans le concept de l’étendue. Expliquant le concept indépendamment de l’expérience (a priori), les jugements analytiques sont nécessaires et universels. Tous les triangles ont nécessairement et universellement trois angles. Toutefois, ceux-ci ne nous apprennent rien de nouveau.
  • Les jugements synthétiques : contrairement au précédent, ces jugements ajoutent quelque chose au concept du sujet. “Sophie est rousse” ou “les corps sont pesants” sont synthétiques. En effet, nous pouvons nous représenter Sophie non rousse ou des corps sans poids. Ils ajoutent quelque chose au concept. Toutefois, les jugements synthétiques a posteriori issus de l’expérience, c’est-à-dire d’une démarche empirique, ne peuvent être ni nécessaires ni universels. 

Kant considère dès lors que seuls les jugements synthétiques a priori peuvent être scientifiques. 

  • Les jugements synthétiques a priori sont ceux dont le prédicat ajoute une propriété au concept du sujet tout en étant nécessaire et universel.

La Révolution copernicienne kantienne

La question qu’il faut se poser est comment les jugements synthétiques a priori, susceptibles de fonder la science sont-ils possibles ? Pour y répondre, Kant va alors effectuer une véritable révolution copernicienne en philosophie de la connaissance. Avant lui, le sujet tournait autour de l’objet pour en acquérir la connaissance. Kant va faire tourner l’objet autour du sujet connaissant. Ce sont les formes de connaissances a priori du sujet qui vont permettre de débuter la constitution de l’objet.  

Pour Kant, il y a deux niveaux de la faculté de connaître, l’une traitant de la sensibilité, l’autre de l’entendement. 

  • La sensibilité : nos impressions (couleurs, odeurs, sons,…) sont données par l’expérience, c’est-à-dire a posteriori. Celles-ci aussi disparates soient-elles nous semblent pourtant unifiées et cohérentes. Ce sont par l’espace et le temps que nous ordonnons et unifions le monde. Il ne nous est pas possible de supprimer l’un ou l’autre. Ceux-ci constituent les formes a priori de la sensibilité, conditions sine qua non des connaissances universelles et nécessaires. 
  • L’entendement : sur les douze concepts et catégories, la causalité en est la plus importante. 

Toutes nos connaissances issues de l’expérience ne nous sont données qu’au travers des formes a priori de la conscience. La nature nous apparaît au travers de ces formes par le biais de phénomènes. Notre faculté de connaître et ses formes a priori structurent et construisent ainsi notre expérience, susceptible de jugements universels et nécessaires. 

Grâce à eux et aux formes a priori de notre conscience, nous pouvons dès lors constituer la science et par là même acquérir des connaissances scientifiques. Reste que seuls les phénomènes nous sont accessibles. Nous ne pouvons jamais accéder aux noumènes, c’est-à-dire aux choses en soi. 

Limites de notre savoir

Kant a posé les limites de la raison théorique, de notre connaissance. Parce que notre faculté de connaître se limite aux phénomènes, la finitude ou l’infinitude du monde, l’existence de Dieu sont hors de portée de notre connaissance. Notre faculté ne peut transcender ceux-ci pour atteindre le noumène ou la chose en soi. Parce qu’elles ne peuvent être ni réfutées ni validées, toutes considérations métaphysiques ne relèveraient que de croyances.

2. Théorie de la morale 

Avec sa Critique de la raison pratique, Kant pose la question suivante : “que dois-je faire ?”. En fait, dans la continuité de la Critique de la raison pure ou théorique, Kant dresse les conditions a priori de toute décision morale. Il ne s’agit pas de connaître les règles morales à adopter, mais les conditions sur lesquelles une décision morale est possible. 

Il distingue deux types d’impératifs, à savoir l’impératif catégorique et l’impératif hypothétique. 

Impératif catégorique : il consiste dans le commandement a priori de la loi morale. Il est du côté de l’absolu : “Je dois, car je dois”. “Agis de sorte que la maxime de ta volonté puisse aussi servir en tout temps de principe pour une législation universelle“. La qualité morale d’une action n’est pas l’action elle-même, mais bien la maxime qui la sous-tend.

L’impératif catégorique est premier : agis de telle manière que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, jamais comme un moyen [Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785]. Constituant la forme de la moralité, l’impératif se caractérise par son universalité et sa nécessité.

Impératif hypothétique : constituant une réponse à une situation déterminée, il est du côté du relatif, du phénomène, de la matière, des conditions empiriques qui détermineront l’action. 

La forme – la maxime, en tant qu’exigence absolue – et la matière se constituent donc pour donner l’action moralement bonne. 

Kant promeut une morale du devoir (déontologie), particulièrement exigeante. Nous devons agir de telle façon que chacune de nos actions puisse devenir une loi universelle. La liberté se confond donc avec le devoir. S’inspirant de Rousseau, la liberté réside dans le fait de respecter la loi que l’on s’est donné, par sa propre volonté. Contrairement au monde des phénomènes, dominé par le principe de causalité, nous avons le choix d’obéir ou non à l’impératif catégorique. En cela, nous sommes libres. 

La pensée de Kant s’opposera à l’utilitarisme ou conséquentialiste, qui prône qu’une action est moralement bonne si ces conséquences sont bonnes pour le plus grand nombre. Ainsi, les détracteurs de Kant diront que, selon sa philosophie, le mensonge est interdit, quand bien même des tueurs vous demanderaient où se trouve un proche que vous avez caché dans l’armoire. Or, dans la pratique, l’impératif catégorique, en tant que forme ou condition a priori d’une action moralement bonne, est toujours en lien avec l’impératif hypothétique, à savoir les conditions matérielles et empirique du monde réel. Dans cette continuité et comme le rappelle par exemple Benjamin Constant (1767-1830), l’idée de devoir est inséparable de celle de droits. Nul homme n’a de droit si celui-ci nuit à autrui. La maxime qui doit devenir universelle doit être mise en rapport et en corrélation avec d’autres principes.

Bibliographie 

HERSCH, Jeanne, L’étonnement philosophique : une histoire de la philosophie, Gallimard, Paris, 2003.

Antonio Gramsci (1891-1937)

Philosophe et homme politique italien, Gramsci est l’un des fondateurs du parti communiste italien. A la suite de la prise de pouvoir des fascistes (1922) et des lois interdisant le multipartisme, il est emprisonné en 1926. Il sera libéré, pour des raisons de santé, en 1937, six jours seulement avant de mourir. 

Apports philosophiques :

Direction consciente et spontanéité : Tout mouvement social doit être un mélange de spontanéité, qui permet de libérer les forces, et une direction consciente, qui assure la pérennité du mouvement. Sans la première, il n’y a pas de soutien populaire, sans la seconde, le mouvement périclite. Les Gilets jaunes ont une base populaire, avec nombre de propositions hétéroclites. Ils sont constitué par un rejet et non un projet.

Hégémonie : La culture dominante est une condition sine qua non du système de domination. Elle impacte directement la pratique et la pensée collective. Diffusées par divers canaux, dont la culture, les médias, la publicité, les valeurs de la classe dominante sont adoptée par la classe dominée. L’hégémonie de la pensée est par conséquent un préalable à un changement de pouvoir et à son maintien.  

Guerre de mouvement et guerre de position : la guerre de mouvement consiste dans la prise de pouvoir ; la guerre de position est le travail intellectuel nécessaire à asseoir ce pouvoir, par des théories et des valeurs potentiellement hégémoniques.  

Bloc historique : S’opposant à Hegel, la “structure” (les forces et conditions matérielles) conditionne, selon Marx, la “superstructure” (les idées, la culture, la religion, l’art ou la philosophie dominante). Toutefois, ce mouvement est dialectique, c’est-à-dire que la superstructure détermine également la structure. Gramsci réaffirme cette dialectique en rappelant que le prima de la superstructure – en période de non crise matérielle ou de subsistance – est nécessaire au changement. Les conditions matérielles et l’idéologie doivent être prisent comme un Tout.   

Citations :

  • Le vieux monde se meurt, la nouveau tarde à apparaître et, dans ce clair obscure, surgissent les monstres. [Cahiers de prison]
  • Je suis pessimiste par l’intelligence, mais optimiste par la volonté. [Cahiers de prison]

Étudié tant par la droite que la gauche, Gramsci nous permet d’apporter certaines réponses à la question : “Pourquoi les travailleuses et les travailleurs votent régulièrement contre le propre intérêt ?”.

 

 

Illustration : L’École d’Athènes, Raphaël, XVIe siècle.