Crise horlogère

 

La Ville du Locle est essentiellement tournée vers le domaine horloger et l’exportation. Après trois décennies de croissance ininterrompue, le réveil est brutal. La crise pétrolière et celle du marché des changes entraînent une crise économique mondiale, touchant de plein fouet le domaine de l’horlogerie. Forcé de mener une réflexion sur son système de production, de moins en moins compétitif sur le plan international, et face à certaines innovations (arrivée du quartz) venues notamment du Japon [1], le monde horloger doit se reconstruire.

Fin du cartel horloger et libéralisation

Survivant aux différentes crises de l’entre deux guerres, le secteur horloger se renforce considérablement sur le plan mondial. Dans les faits, durant la première moitié du 20e siècle, il constitue l’un des secteurs économiques les plus soutenus par les pouvoirs publics. Il bénéficie d’interventions financières régulières et importantes de la part de la Confédération. Cette dernière participe aux organes décisionnels de sociétés et légalise un cartel, offrant, à certaines entreprises, une situation monopolistique dans différents domaines.

A partir des années soixante, la position ultra dominante de l’horlogerie suisse sur le plan mondial est menacée par des sociétés internationales, notamment japonaises et américaines, de plus en plus compétitives. Un processus de libéralisation est alors enclenché. Mettant un terme au cartel et aux accords tarifaires, il a pour but de transformer les moyens de production.

Parallèlement à la décartellisation (1961), des mesures sont néanmoins adoptées, afin de protéger la qualité des produits et le savoir-faire helvétique (emplois). Ainsi, en 1962, le contrôle technique des montres voit le jour. Il est suivi, en 1971, par le label “Swiss made” [2].

Crise horlogère

Avec la fin de la convertibilité dollars/or (1971) et celle des accords de Bretton Woods (1973), les taux de change passent de fixes à flottants. Le francs suisse devient une valeur refuge. L’impact sur les exportations est brutal : l’horlogerie suisse n’est plus compétitive, ce d’autant plus que la concurrence asiatique est féroce [3].

Les entreprises se restructurent, en concentrant à nouveau leur production. En moins d’une décennie, le nombre d’emplois dans l’horlogerie, au niveau suisse, passe d’environ 90’000 en 1970 à 47’000 en 1980. Ce chiffre chute à 34’000 en 1990, avant de remonter à 37’000 en 2000 [4]. En 2018, le nombre d’emploi dans le secteur se monte à 58’000 [5].

Impact social au Locle

La Ville du Locle est fortement dépendante du secteur de l’horlogerie. Ainsi, en 1961, 51% des salariés actifs dans la Mère commune travaillent dans l’industrie horlogère (45% pour La Chaux-de-Fonds) [6]. De plus, la Mère commune se caractérise par une concentration importante de main d’oeuvre dans les fabriques. Ainsi, en 1967, la moyenne des ouvriers par usine est de 90 environ contre 32 à La Chaux-de-Fonds [7].

La crise économique des années septante frappe très durement la Mère commune et l’ensemble de l’Arc jurassien. En 1974, la société Zénith Time licencie 106 personnes. Une manifestation se tient sur la place du marché [8] .

La gauche, par le biais du PSO, demande la nationalisation des entreprises [9]. Cette exigence restera lettre morte.

Au niveau démographique, la Ville perd, en dix ans, près de 18% de sa population. Les périodes de crises deviendront de plus en plus fréquentes. Dans les années nonante, la collectivité connaît des problèmes financiers particulièrement conséquents. En 1998, face aux coupes budgétaires, la fonction publique locloise se met en grève.

Nouvelles concentrations industrielles et consolidation de groupes financiers

Selon Pierre-Yves Donzé, “la fin du cartel permet une profonde mutation des structures horlogères marquée par un vaste mouvement de concentration industrielle et la naissance de groupes horlogers” [10]. Ces derniers procèdent à des consolidations, par le biais de rachat de sociétés, non seulement sur un plan horizontale (cumul de marques aux positionnements différents), mais aussi verticale (maîtrise de la chaîne d’approvisionnement).

En 1983, fruit de la fusion de l’ASUAG et de la SSIH, la Société suisse de microélectronique et horlogerie (SMH) voit le jour. La SMH devient le premier groupe horloger du monde. En 1998, celle-ci prend le nom de “Swatch Group” [11]. L’horlogerie constitue encore le secteur central de cette structure.

Si certaines entreprises sont encore et toujours indépendantes de groupement (sous-traitants horlogers, Metalem SA,…), voire, à de très rares exceptions, de banques, l’intégration à des holdings, souvent étrangères, a connu une accélération importante à la fin du 20e siècle.La plupart des cas, l’absorption de sociétés horlogères au sein de groupes financiers résultent, pour ces derniers, d’une stratégie de diversification des produits, des risques et des rendements.

Au niveau suisse, trois groupes principaux se partagent le marché : Swatch Group, Richemont et LVMH.

En 2018, sur territoire loclois, Swatch Group possède entre autres Tissot, Comadur et Nivarox; Richemont, “appartenant à la famille Ruppert ([jusqu’en 2010] British American Tobacco, BAT)” [12], détient Montblanc Montres et Cartier. Enfin, le groupe français de luxe, LVMH, possède la société Zénith. En 2014, le groupe Kering acquiert l’entreprise Ulysse Nardin.

Nouvelle stratégie : le marketing

Avec la nouvelle économie, le marketing prime dorénavant sur la production. “La révolution du quartz ayant permis à tout un chacun de fabriquer des montres, l’enjeu n’est plus de savoir les fabriquer, mais de pouvoir les vendre” [13]. La perte du caractère usuel de la montre, dont la fabrication est rendue nettement plus accessible, les groupes horlogers revoient leur stratégie. Au 21ème siècle, cette tendance se renforcera avec la multiplication des supports possibles, liés aux nouvelles technologies. Le marketing joue un rôle toujours plus important, nécessitant une claire lisibilité du positionnement des marques.

En ville du Locle et sur l’ensemble de l’Arc jurassien, le marketing horloger s’appuie largement et le plus souvent sur l’ancrage historique, l’authenticité et le savoir-faire traditionnel.

Aller de l’avant

Le secteur horloger n’est pas le seul domaine économique frappé par la crise. Ainsi, la société Klaus ferme définitivement ses portes en 1992. Fondée en 1956, la Société chocolat Klaus SA a son siège dans la Mère commune. Son imposante cheminée de 32 mètres marque la Ville. Passant par différents propriétaires et groupes financiers, la Société quitte Le Locle en 1992.

Suppression de l’aide au région de montagne (LIM).

De par un secteur industriel prépondérant, notamment l’horlogerie, tourné essentiellement vers l’exportation, la Ville du Locle est particulièrement sensible à l’évolution économique mondial. Après la crise des années septante, qui a vu, au niveau Suisse, une diminution brutale et conséquente des emplois horlogers, la Ville et le canton procèdent à partir des années nonante à un repositionnement. Si le savoir-faire et la précision restent les maîtres mots, les collectivités tendent vers une diversification progressive de la production.

A l’instar des groupes financiers, dont le portefeuille est constitué par des entreprises touchant différents domaines, les collectivités favorisent l’implantation de groupes pharmaceutiques ou d’entreprise liée à la joaillerie,…).

La Ville n’a d’autres choix que de se reconstruire en diversifiant ses domaines de production. Ainsi, au tournant du 21e siècle, à côté de l’horlogerie se développe d’autres secteurs, tels que ceux de la pharmaceutique ou de la joaillerie. L’entreprise américaine Johnson & Johnson rachète, en 1991, Medos SA, avant d’implanter, en 1994, un nouveau bâtiment. Cartier Joaillerie ouvre, en 2016, une société au Saignoles.

Entre 2010 et 2014, le nombre d’emploi atteint les 8’000 en Ville du Locle, dont près de 5’500 au sein des fabriques.

A l’instar des régions industrielles, la Ville est néanmoins confronté aux différentes réformes fiscales et à la volatilité des capitaux.

Illustration

Photo tirée de l’article, “Chez Lip, les PME ont remplacé les montres”, In L’Echos de Mme Monique Clémens.

Bibliographie

DONZE, Pierre-Yves, Histoire de l’industrie horlogère suisse : De Jacques David à Nicolas Hayek (1850-2000), Editions Alphil – Presses universitaires suisses, Neuchâtel, 2009.

Notes

1. En 1969, l’entreprise japonaise Seiko sort, le jour de Noël, la première montre à quartz [DONZE, p. 159]. Il est à noter cependant que la progression du quartz se développe avec une relative lenteur. Même si l’horlogerie suisse était en retard par rapport à ses concurrents asiatiques, celle-ci avait tout de même concentré ses efforts sur le quartz durant la fin des années soixante.

2. DONZE, p. 154.

3. DONZE, p. 164. En 1974, l’horlogerie suisse produit un nombre record de 84,4 millions de montres mécaniques. La production s’effondre à 31,3 millions de moyenne annuelle pour la période 1982-1984 [DONZE, p. 160].

4. DONZE, p. 166.

5. www.agefi.com, 1.04.2019.

6. L’IMPARTIAL, La concentration régionale dans l’industrie, 7 janvier 1961.

7. DONZE, P. 171.

8. L’IMPARTIAL, Manifestation au Locle, 25 novembre 1974.

9. L’IMPARTIAL, Le PSO et la crise horlogère, 13 octobre 1982.

10. DONZE, p. 165.

11. DONZE, p. 171.

12. DONZE, p. 172-173.

13. DONZE, p. 171.

 

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