1ère Guerre mondiale et mobilisation

Dans sa séance du 31 juillet 1914, le Conseil fédéral, présidé par Arthur Hoffman (1857-1927), décide la « mise de piquet » de l’armée fédérale. Tout s’enchaîne rapidement. Le 1er août, la mobilisation est décrétée; le 3 août, l’assemblée fédérale octroie les pleins pouvoirs au Conseil fédéral ; un général de l’armée suisse est nommé en la personne d’Ulrich Wille.

Le Conseil d’État in corpore se rend à Colombier pour l’assermentation des soldats en présence du général Wille.

Solidarité envers les soldats français

Dans la Mère commune, l’armée suisse est cantonnée à la frontière et notamment au Col-des-Roches. Côté français, des tirs raisonnent jusque dans la cité suisse.

Un mouvement de solidarité se met en place, vis-à-vis des Loclois, notamment français et italiens, appelés sous leurs drapeaux. Des manifestations de soutiens sont organisées, notamment lors du 14 juillet. Comme l’écrit l’historien Sébastien Abbet, les enfants et réfugiés belges sont hébergés au Locle sur l’initiative de l’écrivaine T. Combe (1856-1933)[1]. La Belgique, état neutre, a en effet été envahie dès 1914 par les troupes allemandes.  

Inflation des denrées

Rapidement après la mobilisation, les autorités du Locle et de La Chaux-de-Fonds s’inquiètent de la hausse des prix, notamment ceux du fromage. La vie des agriculteurs devient de plus en plus difficile. L’association des maîtres-boulangers du district du Locle procède à des augmentations du prix du pain. Fixé entre 30 ct et 36 ct le kilo avant la guerre, le prix du pain s’envole. Ainsi, en mai 1916, il est fixé entre 52 ct et 56 ct le kilo. Avant la guerre et pendant la guerre, selon l’annuaire statistique fédéral, le prix de la pomme de terre du pays augmente de 140% au Locle[2]. La pénurie de pétrole se fait sentir. Le prix de la viande est fixé par le Conseil fédéral.

Les chantiers prennent du retard, à l’instar de la réalisation de l’Hôtel-de-Ville. La réquisition des chevaux et attelages complique la vie de la population. À la suite de l’incendie du nouveau collège en 1915, le corps de pompiers se trouve « légèrement désorganisé »[3]. Il bénéficie de l’aide de volontaires, mais aussi de la compagnie de soldats cantonnée au Col-des-Roches.

En 1918, des négociants-spéculateurs parcourent les Montagnes et notamment les fermes locloises. Leur but : liquider les marchandises dites « rares », telles que le savon, le café ou l’huile. En effet, conscient de la fin imminente des hostilités et de la dépréciation de leur bien à court terme, ils tentent de liquider leur stock, qu’ils avaient capitalisé[4].

La grippe « espagnole »

En 1918, la grippe dite « espagnole » tue et notamment parmi les recrues et soldats mobilisés. Ainsi, un soldat vaudois, évacué de Saint-Imier, meurt à l’hôpital du Locle[5]. D’autres seront également hospitalisés dans la Mère commune. De nombreux soldats et habitants perdront la vie.

En août 1918, le Conseil d’État écrit au Conseil fédéral pour lui demander de restreindre les contingents mobilisés aux frontières[6].

Manifestations pour la Paix

La gauche et le parti socialiste s’opposent à la guerre. En 1915, une manifestation pour la Paix regroupe 1500 personnes à La Chaux-de-Fonds. Le Conseil communal y participe. Les orateurs, le Conseiller national Ernest Paul Graber (1875-1956), le pasteur Paul Pettavel (1861-1934) et le Loclois Perret, rappellent les exactions et la boucherie de la guerre, avec près de 10 millions de morts. Ils en appellent à l’Internationale prolétarienne[7].

En 1916, la population se mobilise une nouvelle fois. Elle réagit à l’affaire dite « des colonels ». En effet, deux officiers de l’armée suisse livrent des renseignements à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie. La réticence de l’armée à traduire en justice les officiers et la clémence du jugement cristallisent les antagonistes, notamment entre la Suisse allemande et la Suisse romande. Au Locle, 1’500 citoyens se regroupent pour fustiger le parti de la guerre et les courants germanophiles au sein de l’armée. Des discours sont prononcés au Temple, dont notamment par le socialiste Charles Naine (1874-1926) et Ernest Paul Graber, rédacteur en chef de la Sentinelle[8].

Armistice

Le 11 novembre 1918, l’armistice entre les Alliés et l’Allemagne est signé dans la forêt de Compiègne. À l’instar de nombreux pays belligérants, la gauche suisse se soulève face à une guerre, jugée une nouvelle fois capitalistique.

Avant même l’armistice, le 12 novembre 1918, la grève générale est lancée dans le pays. Depuis le 9 novembre, la grève est lancée dans la Mère commune. La gauche étant majoritaire depuis quelques mois, le drapeau rouge flotte sur l’Hôtel-de-Ville et les Services industriels sont bloqués. Au gymnase de La Chaux-de-Fonds, un drapeau rouge, en lieu et place du drapeau suisse, est hissé au toit du bâtiment. Il est l’œuvre du directeur lui-même, Auguste Lalive. Outrés, certains élèves arrachent le drapeau[9].

Le Conseil d’État neuchâtelois exhorte les Conseils communaux du Locle et de La Chaux-de-Fonds à cesser leur soutien aux grévistes. La Grève générale prend fin le 14 novembre. Les membres socialistes des exécutifs seront, par la suite, condamnés.

Au Locle, l’Union ouvrière lance différentes manifestations. Une pétition des Unions ouvrières de Neuchâtel, du Locle et de La Chaux-de-Fonds adressée au Grand Conseil réclame notamment[10] :

  1. La journée de huit heures pour les entreprises publiques et privées;
  2. L’instauration d’une assurance chômage, vieillesse et survivants;
  3. Le droit de vote aux femmes;
  4. Développement des écoles pour aider les élèves de la classe ouvrière, ainsi que la mise en place d’un enseignement plus positif et vivant;
  5. Suppression des dispositions légales pour enlever le droit de vote aux personnes ayant des retards d’impôt;
  6. Représentation proportionnelle de la classe ouvrière au sein des commissions;
  7. Nomination des Conseillers communaux et des magistrats par le peuple;
  8. Création d’un bureau des salaires;
  9. Intervention de l’État pour moderniser l’agriculture et permettre une amélioration des conditions de travail des paysans.

Même si la Grève générale n’a pas porté ses fruits, il semble que la gauche se soit renforcée. Les élections fédérales au Conseil national du mois d’octobre montrent une forte poussée de la gauche, à l’instar de la représentation neuchâteloise qui réussit à placer trois socialistes au côté de deux libéraux et deux radicaux[11].

« La Paix »

Avec 19 millions de morts et 21 millions de blessés, des veuves et des orphelins, la Première Guerre mondiale constitue un traumatisme sans précédent.

En 1923, un monument aux morts est inauguré au Col-des-Roches en hommage aux soldats français et volontaires du district du Locle[12].

Débutée en 1913, la réalisation du nouvel Hôtel-de-Ville du Locle se termine en 1917. Le fronton du bâtiment se couvre de fresques monumentales. À l’ouest, en 1932, une large fresque nommée « La Paix » est réalisée par Ernest Bieler. Tenant le rameau d’olivier, symbole de « paix », une femme ailée rappelle le temps nouveau et la réconciliation pour ce qui devait être la « Der des der ». 

 

Conclusion

La Suisse n’est pas directement frappée par ce conflit qui fit plus d’une dizaine de millions de victimes. Les problèmes s

emblent dès lors pour le moins insignifiants par rapport à la souffrance des populations de la plupart des pays du monde. Privation et restriction semblent néanmoins le quotidien de la population.

À l’instar des pays européens et dans la continuité de la révolution russe de 1917, différents mouvements sociaux débutent. La Suisse connaît l’un des plus grands nombres de grève en Europe. 

Illustration

Carte postale de la mobilisation de 1914 devant l’Hôtel-de-Ville.

HASLER, p. 70. Enterrement d’un soldat loclois mort au service militaire.

La Paix d’Ernest Bieler. 

Notes

[1] ABBET, Sébastien, La Grève dans la Ville : une cité horlogère à travers guerre mondiale, conflits sociaux et restauration de l’ordre (Le Locle, 1912-1920), Unil, 2019, p. 2 : www.academia.edu.

[2] L’EXPRESS, Canton, 15 septembre 1916.

[3] L’IMPARTIAL, Aux Montagnes, 21 juin 1915.

[4] L’EXPRESS, Canton, 5 novembre 1918.

[5] L’IMPARTIAL, La grippe, 18 juillet 1918.

[6] L’IMPARTIAL, Canton, 30 août 1918.

[7] L’IMPARTIAL, La manifestation, 4 octobre 1915.

[8] L’EXPRESS, L’assemblée du Locle, 21 janvier 1916.

 

[9] L’EXPRESS, Canton, 18 novembre 1918.

[10] L’EXPRESS, Canton, 19 novembre 1918.

[11] L’IMPARTIAL, Les élections, 27 octobre 1919.

[12] L’IMPARTIAL, Chroniques neuchâteloises, 29 octobre 1923.

 

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