L’Hôpital du Locle

Les soins hospitaliers relevaient au Moyen Âge essentiellement des instances ecclésiastiques. Avec la Réforme, des institutions privées voient le jour, soutenues par des « bienfaiteurs » et autres bourgeois. A partir du 19e siècle, des hôpitaux sont créés ou repris par les collectivités publiques : les communes, puis au 20e siècle par les cantons[1].

Surplombant la zone urbaine, l’hôpital du Locle fait partie intégrante du paysage de la Mère commune. Celui-ci voit le jour le 18 janvier 1856 et connut par la suite de nombreux agrandissements et rénovations.

Naissance de l’Hôpital du Locle

En 1824, Le Locle bénéficie d’un hospice pour la « vieillesse et l’enfance malheureuse »[2]. Toutefois, celui-ci ne semble pas suffisant pour l’aide aux indigents touchés par la précarité.

La couverture sanitaire et les soins sont donc relativement sommaires. Pour exemple, en 1834, Le Locle subit un nouvel incendie, frappant cette fois-ci le Crêt-Vaillant. Moins dommageable du point de vue patrimonial que celui de 1833, cet incendie est néanmoins dramatique sur le plan humain. Dès le premier jour, on dénombre 24 victimes, dont cinq morts. Le bilan s’alourdit les jours suivants. Dès les premières heures, un chirurgien de La Chaux-de-Fonds est dépêché. Les blessés sont emmenés à Neuchâtel, à l’Hôpital Pourtalès[3].

En 1851, Louise Seitz, née Courvoisier, décide de fonder un hôpital, comptant 10 lits, à la Croix-des-Côtes (aujourd’hui, rue de Bellevue). Elle est secondée par le Dr Hassler, qui devint rapidement son second époux.

En 1854, une épidémie de fièvre typhoïde pousse la loge maçonnique à fonder un autre hôpital : l’Hôpital fraternel. La loge locloise, « Les Vrais Frères Unis » a vu le jour en 1774. Elle est la troisième plus ancienne loge de Suisse après celles de Genève en 1769 et celle de Zürich en 1771. Le Vénérable ou vénérable Maître est alors Philippe Courvoisier fils[4].

Conscients de la nécessité de regrouper leur force, les deux hôpitaux fusionnent. Le 18 janvier 1856, l’hôpital du Locle voit le jour à la Croix-des-Côtes[5].

Fonctionnement de l’hôpital

Au 19e siècle, l’hôpital fonctionne essentiellement grâce à la récolte de dons. Outre des mécènes importants, la recherche d’argent s’effectue auprès de citoyens dans les différents quartiers du Locle. La journée d’hospitalisation se monte à un franc et le premier exercice déficitaire touche l’année 1861[6]. Certaines subventions sont octroyées, notamment par le canton de Berne pour les soins apportés à leurs ressortissants.

Une diaconesse assume le rôle de directrice. Parmi les faits marquants, la fin des travaux de la ligne ferroviaire Le Locle – La Chaux-de-Fonds réduit le nombre d’hospitalisations en raison de la diminution des accidents. En 1870-71, durant la guerre franco-allemande et l’entrée des Bourbakis, trente étrangers y sont hospitalisés[7].

Nouveau bâtiment

En novembre 1893, un nouveau bâtiment, réalisé par l’architecte Alfred Rychner, répondant aux exigences de l’époque, est inauguré à proximité de l’existant. En 1903, un système de distribution d’eau chaude y est installé.

Devant l’afflux de patients, un hôpital à Belle-Roche (Combe-Jeanneret en direction de la Chaux-du-Milieu) y est temporairement ouvert. Ce dernier sera fermé définitivement en 1914 et mis à disposition de la ligue pulmonaire. Il sera vendu en 1930[8].

La mobilisation de 1914 provoque une hausse des malades. L’épidémie de grippe de 1918 montre les limites de capacité de l’hôpital. En 1931, un service de radiologie est créé, ainsi qu’un ascenseur.

Une nouvelle annexe est réalisée en 1934, grâce à la participation de donateurs, notamment industriels. Une maternité s’ouvre en 1940. Une installation électrique permet de chauffer la salle d’accouchement « à 25 degrés en moins de vingt minutes »[9].

En 1973, après 117 ans de présence, les Sœurs de Saint-Loup quittent l’Hôpital du Locle[10].

Rôle déterminant des femmes

L’historienne, Caroline Calame, rappelle une constance qui semble se dégager notamment sur le rôle des femmes au Locle et plus particulièrement dans les Montagnes neuchâteloises (voir évidemment plus largement). À l’instar de Mme Louise Seitz, à l’origine de l’Hôpital du Locle, ou de Mme Marie-Anne Calame, fondatrice du Home des Billodes, les femmes sont souvent les initiatrices des institutions à but social et sanitaire. Elles donnent l’impulsion, matérialisent et consolident les projets. 

Lorsque ces institutions fonctionnent, les hommes s’ingèrent dans leur développement, puis accaparent les fonctions dirigeantes. Les femmes sont ainsi progressivement « invitées » à se mettre en retrait, relayées à l’intendance ou à des tâches subalternes.

Le nom des rues du Locle reflète encore ce manque de considération sur le rôle des femmes dans l’histoire. Seule Marie-Anne Calame et l’écrivaine T. Combe (1856-1933), du vrai nom d’Adèle Huguenin-Vuillemin, ont donné leur nom à une rue.

Domaine de la santé en mutation

Au 20e siècle, l’hôpital du Locle se développe. Le nombre de lits à disposition augmente et les prestations se diversifient.

Dans les années septante, la Fondation entièrement en main privée se mute en structure parapublique. Nommé par l’exécutif de la Ville, le comité est constitué d’élus selon le principe proportionnel émanant du Conseil général. De moins en moins nombreuses dans une structure de plus en plus conséquente, les sœurs font désormais place, en 1973, à un personnel laïc. En 1979, désignés par le personnel, un représentant du corps médical et un représentant du secteur hôtelier intègrent avec voix consultative le comité.

À partir des années nonante et la chute des sociétés « socialistes », le « néolibéralisme » semble être la seule voie possible. Les mesures financières prises contre les entités publiques, le principe de concurrence et les crises économiques successives mettent progressivement à mal le modèle de protection sociale, sanitaire et hospitalier. Le cadre juridique et financier du système de santé se modifie, tant au niveau fédéral que cantonal. La concentration des structures hospitalières se renforce.

L’hôpital du Locle subit lui aussi ce processus. En 1997, l’hôpital connaît entre 150 à 160 naissances. En raison des rumeurs de fermeture, le nombre d’accouchements sur le site chute de 30% en une année[11]. En 1999, la maternité cesse son activité sur le site de la Mère commune.

En 2001, le service de chirurgie de l’hôpital du Locle est transféré à La Chaux-de-Fonds[12].

En 2005, l’Hôpital du Locle bénéficie néanmoins de nombreux investissements, permettant une rénovation de l’établissement. Toutefois, l’entrée en vigueur de la Loi sur l’Hôpital neuchâtelois multisites provoque de nombreuses tensions, notamment entre les régions. Le Conseil communal perd ses prérogatives en matière de nomination des membres du comité de Fondation. D’ailleurs, l’ensemble de la structure est repris par la société de droit public « Hôpital neuchâtelois ».

Avec la loi fédérale sur le financement des soins, l’autonomisation de la structure hospitalière neuchâteloise, diminuant le pouvoir des autorités publiques, et la logique de concentration, le démantèlement de l’hôpital du Locle continue. Dans les années 2010, l’Hôpital devient un centre de réadaptation gériatrique, tout en bénéficiant d’un centre de radiologie et d’une polyclinique.

En 2013 et en 2017, le peuple neuchâtelois s’oppose au projet de concentration hospitalière prévu par l’exécutif cantonal et le Conseil d’administration. L’hôpital de soin aigu de La Chaux-de-Fonds étant progressivement démantelé, le peuple accepte la création de deux structures autonomes, l’une pour le haut, l’autre pour le bas du canton. Une nouvelle société parapublique est constituée, à savoir le Réseau des Hôpitaux neuchâtelois (RHNE). Le site du Locle est maintenu, mais uniquement en tant que centre de réadaptation.

Les tensions entre le privé et le public ne s’arrêtent pas pour autant. Les privés sont accusés de capter les prestations les plus rentables, tout en laissant au public celles qui sont les moins valorisées. Ainsi, près de 80% des interventions électives et 90% des poses de prothèses sont effectués par les hôpitaux privés. À l’inverse, 100% des traumas ou fémurs cassés, peu valorisés, sont réalisés par les structures publiques. La recherche et la formation sont également assumées par ces derniers.

Photos

http://swiss.nailizakon.com/l/l-switzerland.html

[1] Elsanne Gilomen-Schenkel; Pierre Yves Donzé; Ingrid Müller-Landgraf: “Hôpital”, in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 25.10.2012, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/016579/2012-10-25/, consulté le 21.08.2023.

[2] JUNG, Fritz, Centenaire de l’Hôpital du Locle : 1856 – 1955, Éditions Annales locloises, 1957, p. 5.

[3] HOSPICE DU LOCLE, Archives communales, 1834.

[4] ORIENT DU LOCLE, La Loge : Les Vrais Frères Unis : 1774-1974, Le Locle, 1974, p. 21.

[5] JUNG, Fritz, Centenaire de l’Hôpital du Locle : 1856 – 1955, Éditions Annales locloises, 1957, p. 6.

[6] JUNG, p. 7.

[7] JUNG, p. 8.

[8] L’IMPARTIAL, Courrier du Locle, 24 septembre 1930.

[9] L’IMPARTIAL, Chronique neuchâteloise : Au Locle – À l’hôpital, 10 juin 1944.

[10] L’IMPARTIAL (A. ROUX), Une page se tourne à l’Hôpital du Locle, 25 août 1973.

[11] L’IMPARTIAL (BLN), Hôpital : Maternité fermée en juin; le comité se bat pour la chirurgie, 13 février 1999. Cette situation est d’autant plus problématique qu’elle réanime les tensions régionales. En effet, en 1996, la population locloise avait acceptée à 84% la réalisation d’un nouvel hôpital à Neuchâtel en remplacement de ceux des Cadolles et de Pourtalès [L’IMPARTIAL (Sylvie BALMER, L’hôpital sous les coups de bistouri, 12 août 2016).

[12] L’EXPRESS (Claire-Lise DROZ), Hôpital du Locle : plus de chirurgie dès le 31 décembre, 19 décembre 2000.

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