Fin de partie pour les royalistes !

Débutée au Locle le 29 février 1848, la Révolution neuchâteloise s’est répandue comme une traînée de poudre des Montagnes au Littoral. Proclamée le 1er Mars de la même année sur l’ensemble du territoire, la République de Neuchâtel reste néanmoins une jeune institution. Son assise est fragile. Le 3 septembre 1856, les royalistes lancent une insurrection. 

Contexte international tendu

La refonte des institutions politiques, la suppression de la Vénérable classe, l’obligation aux pasteurs de prêter serment à la République, le mécontentement lié au développement, notamment celui du chemin de fer, et certains milieux attachés à l’ancien régime accentuent les tensions. De plus, sur le plan international, la monarchie semble la règle sur le vieux continent. Cette prédominance est accentuée par la chute de la République française et l’arrivée du Second Empire en 1852, ainsi que par l’annexion des petites Républiques italiennes par les monarques européens. La Suisse et la République de Saint-Marin font donc figure d’exceptions. 

Des préparatifs à Berlin

Depuis l’instauration de la République, les royalistes, dont certains représentants siègent au Grand Conseil, ambitionnent un renversement du régime. Au travers d’un cabinet noir, ils fomentent une intervention armée. 

La direction du mouvement est attribuée à deux colonels, Charles-Frédéric de Pourtalès-Steiger et Henri-Frédéric de Meuron. Les Chefs royalistes se retrouvent à Berlin, afin d’échafauder la reprise du territoire neuchâtelois. Notons toutefois que le souverain prussien, Frédéric-Guillaume IV (1795-1861), ne semble pas s’être impliqué personnellement et ouvertement en faveur des royalistes. Tout au plus, l’héritier les reçoit en audience[1]. À Berlin, les conspirateurs, tout comme une partie de la cour, pensaient que les Neuchâtelois étaient acquis à la cause et qu’ils ne recourraient pas à demander l’engagement des troupes fédérales. Les royalistes consolident leur plan : marcher sur le Château de Neuchâtel et, afin de ne pas être pris à rebours, la Ville du Locle, berceau de la Révolution de 1848. Ceux-ci prendraient alors le chemin de La Chaux-de-Fonds.  

Dans les faits, les troupes de Pourtalès-Steiger s’occuperont de la Mère commune, celle de Meuron du Château. 

Les royalistes marchent sur la Mère commune

Le 2 septembre, le Conseil général tient séance, occupé à l’établissement de différents règlements. Ces membres semblaient loin de se douter qu’à quelques lieux de là, leurs « ennemis » préparaient « dans l’ombre […] une attaque contre la Constitution républicaine […], espérant renverser le principe en vertu duquel [ils s’étaient] assemblés et [avaient projeté d’] anéantir la souveraineté du peuple »[2]. Ainsi, leurs travaux terminés, les Conseillers généraux rentrèrent vraisemblablement chez eux en toute quiétude.      

À 2 heures et quart du matin, les troupes royalistes venues de la Sagne entrent dans la Mère commune. Sous le commandement du capitaine Guillaume-Gentil, ils prennent l’Hôtel de Ville. Aux cris de « Vive le Roi ! À bas la République ! »[3], les royalistes hissent le drapeau prussien. Le Temple et la poudrière sont pris. Parallèlement, les principaux républicains sont neutralisés, sommés, sous bonne garde, de rester chez eux. Henry Grandjean parvient néanmoins à s’échapper par l’une des fenêtres de son habitation[4]

Bien qu’en retard par rapport à leurs plans initiaux, des contingents royalistes des Ponts-de-Martel et de la Brévine rejoignent Le Locle. Parallèlement, les républicains s’organisent. Ils harcellent les insurgés, par petits groupes, mobiles et nombreux. En toute hâte, deux Loclois se rendent à La Chaux-de-Fonds annoncer la tentative des contre-révolutionnaires. 

À Neuchâtel, le château est pris

Les royalistes prennent le château de Neuchâtel. Le Conseiller d’État est fait prisonnier. 

La République en danger !

Avertis par deux républicains de la Mère commune, les Chaux-de-Fonniers s’organisent. On chante « La Marseillaise ». Les autorités affichent, comme le rappelle l’historien Jean-Marc Barrelet, une proclamation fleurant bon les plus belles heures de la Révolution française : « Citoyens ! La République est en danger ! Les ennemis de nos institutions se sont rendus maîtres du château de Neuchâtel et du Locle. Ils marchent sur La Chaux-de-Fonds… Aux armes !!! ».[5]

Le Major et ancien Conseiller d’État, Ami Girard, accepte le commandement en Chef des troupes républicaines[6].

Une mère de six enfants abattue

À 6 heures du matin, une partie des troupes royalistes s’élancent sur La Chaux-de-Fonds. En arrivant aux Éplatures, les insurgés font face à un drame : un jeune soldat royaliste, sous l’influence de l’alcool, tue une mère de famille, Mme Bessert, mère de six enfants. Les républicains tirent des coups de canon.  

Débâcle des royalistes au Locle, descente sur Neuchâtel et reddition

Les royalistes battent en retraite. Au Locle, le président du Grand Conseil, Eugène Huguenin, fait reprendre l’Hôtel de Ville. Le drapeau fédéral y flotte à nouveau. Les républicains exultent.

Les troupes insurrectionnelles emmenées par le colonel de Pourtalès-Steiger n’en restent pas là. Ils décident de passer par la Tourne, en venant en soutien à Neuchâtel. On dénombre plusieurs victimes. Dans l’après-midi du 3 septembre, Pourtalès-Steiger et ses troupes parviennent à rejoindre le château. 

Les troupes et les commissaires fédéraux sont dépêchés dans la capitale. L’armée républicaine d’Ami Girard assiège le château. Sentant la situation leur échapper, les royalistes tentent de se rendre. Huit cadavres sont retrouvés sur la terrasse du château, vingt-six royalistes blessés, dont trois mourront, et de Pourtalès-Steiger est blessé d’un coup de sabre à la tête et à la jambe par une baïonnette[7]. Cinq cents royalistes sont faits prisonniers. Le Conseil d’État est libéré. Le 4 septembre 1856, la République est sauvée. 

Les troupes fédérales occupent le territoire neuchâtelois

Le territoire neuchâtelois est occupé par les troupes fédérales. Les royalistes, dont plusieurs membres de la famille de Pourtalès, sont traduits en justice, tout comme de Meuron. L’ancien maire des Brenets, Charles-Auguste Jeanneret, est parmi les accusés. 

La Mère commune accueille les troupes fédérales et leur met à disposition des locaux et des vivres. Au lendemain du baroud d’honneur des contre-révolutionnaires, elle épure également sa garde municipale, tout en la renforçant par des éléments progressistes. Les sapeurs-pompiers blancs, proches des milieux royalistes[8], sont interdits. Les républicains peuvent au final asseoir leur position et conforter la Révolution de 1848. 

Fin des prétentions de la Prusse sur la République et canton de Neuchâtel

Le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume IV, demande la libération immédiate de ses partisans emprisonnés. Les relations diplomatiques avec la Suisse sont rompues. Le souverain prussien mobilise 150’000 hommes en janvier 1857[9].

En mai 1857, un congrès européen réunissant l’Autriche, la France et l’Angleterre se tient à Paris, afin de désamorcer la situation. Par les conventions de Paris du 16 juin 1857, Frédéric-Guillaume IV renonce définitivement à ses prétentions sur le territoire neuchâtelois. En contrepartie, les insurgés sont amnistiés et le monarque conserve son titre purement honorifique de « prince de Neuchâtel et comte de Valangin »[10]. Peu importe, la République et canton de Neuchâtel est pleinement libre et souveraine.

En 1858, elle se munit d’une nouvelle constitution cantonale.

Persistance actuelle des monarchies en Europe de l’Ouest 

La tentative avortée des royalistes est synonyme de baroud d’honneur des conservateurs. La République neuchâteloise, instaurée en 1848, a tenu. La majorité de la population semblait acquise au nouveau régime. La mobilisation rapide et l’intervention fédérale ont joué un rôle prépondérant.

Reste que la notion de République fait figure d’exception dans l’Europe de la moitié du 19e siècle. En effet, si la Suisse, en particulier Genève, Neuchâtel et le Tessin, ainsi que l’État de Saint-Marin sont des Républiques européennes, le déclin des Empires et la disparition des monarchies prendront du temps. 

En France, la chute de Napoléon III (1808-1873) découle, en 1870, sur l’instauration de la « troisième » République.

Au Portugal, Manuel II (1889-1932) est renversé en 1910, entraînant la proclamation de la République.     

Conséquence de la Première Guerre mondiale, certaines monarchies européennes s’effondrent comme des châteaux de cartes :

  • Russie : Nicolas II (1868-1918), Tsar de toutes les Russies, est déposé en 1917 au profit d’une République;
  • Allemagne : Guillaume II (1859-1941), empereur allemand et roi de Prusse, abdique en 1919, laissant place à la République de Weimar; 
  • Autriche-Hongrie : Charles Ier (1887-1922), empereur d’Autriche, roi de Hongrie, de Bohême, de Croatie-Slovanie, renonce à son royaume en 1918.

La Seconde Guerre mondiale aura également raison de diverses monarchies sur le continent européen. 

  • Italie : le roi Victor-Emmanuel III (1869-1947) doit céder, en 1944, ses prérogatives à son fils, Humbert II (1904-1983). Ce dernier s’exile, en juin 1946, à la suite d’un vote populaire sur l’instauration de la République;
  • Bulgarie : Siméon II (1937), qui succède à son père Boris III (1894-1943) mort mystérieusement, doit renoncer à son trône en 1946 à la suite d’un plébiscite en faveur d’une République populaire. 
  • Roumanie : Mihai 1er (1921-2017) abdique en 1947 après la proclamation d’une République populaire. 
  • Yougoslavie : Pierre II (1923-1970), en exil depuis 1941 à la suite des combats entre l’Allemagne nazie et les alliés, ainsi que des velléités d’affranchissement de certaines régions, voient la monarchie abolie en faveur d’une République fédérative populaire. 

En Grèce, à la suite, en 1967, de la prise de pouvoir des colonels, le roi Constantin II (1940) s’exile. Les dirigeants de la junte ayant le titre de régent, la monarchie est cependant maintenue jusqu’en 1973. Un plébiscite abolit la monarchie et instaure la république. Celle-ci est confirmée en 1974, après la chute de la dictature des colonels.   

À l’heure actuelle, l’immense majorité des pays à travers le Monde ont opté pour des régimes républicains.

En Europe principalement de l’ouest, certaines dynasties royales ou princières sont néanmoins parvenues à se maintenir. Celles-ci sont actuellement au nombre de douze, à savoir :

  • 10 monarchies héréditaires : Belgique, Danemark, Espagne, Luxembourg, Liechtenstein, Monaco, Norvège, Pays-Bas, Suède et Royaume-Uni de Grande-Bretagne; 
  • 2 monarchies non héréditaires : l’État du Vatican et la Principauté d’Andorre. 

La plupart de ces monarchies doivent travailler avec des régimes parlementaires, n’assumant d’ailleurs plus de prérogatives exécutives. 

Illustrations

HEINDRICH, Jenny, Bibliothèque nationale suisse, Berne. Tiré du Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), Neuchâtel (canton), version 2017.  

[1] FEUILLE D’AVIS DE NEUCHÂTEL (BAUER, Eddy), La Contre-révolution royaliste, 1er septembre, 1956. 

[2] CONSEIL MUNICIPAL, Rapport au Conseil général de la Municipalité du Locle sur la marche de l’administration depuis le 3 septembre 1856, archives, Le Locle, 1856. 

[3] PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA CONFÉDÉRATION SUISSE, Rapport à la Chambre d’accusation fédérale sur l’insurrection royaliste des 2, 3 et 4 septembre 1856, dans le canton de Neuchâtel, Berlin, 1856, p. 6.

[4] FAESSLER, François, Histoire de la Ville du Locle : des origines à la fin du XIXe siècle, Édition de la Baconnière, Neuchâtel, 1960, p. 134.

[5] BARRELET, Jean-Marc, Histoire du canton de Neuchâtel : La création d’une république : De la Révolution de 1848 à nos jours, Éditions Alphil-Presses universitaires suisses, Neuchâtel, 2011, p. 39.

[6] PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA CONFÉDÉRATION SUISSE, Rapport à la Chambre d’accusation fédérale sur l’insurrection royaliste des 2, 3 et 4 septembre 1856, dans le canton de Neuchâtel, Berlin, 1856, p. 6.

[7] PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA CONFÉDÉRATION SUISSE, p. 11.

[8] CONSEIL MUNICIPAL, Rapport au Conseil général de la Municipalité du Locle sur la marche de l’administration depuis le 3 septembre 1856, archives, Le Locle, 1856.

[9] SHAN (CALLET-MOLIN, Vincent), L’insurrection royaliste de 1856 : https://www.imagesdupatrimoine.ch/notice/article/linsurrection-royaliste-de-1856.html

[10] BARRELET, p. 43.