La Vallée du Locle

En 1151, une Charte des Seigneurs de Valangin, Renaud et son fils Guillaume, stipule la volonté de remettre à l’abbaye de Fontaine-André un lieu dit « la Vallée du Locle ». Il s’agit de la première apparition du nom du « Locle », connu à ce jour. Cette donation va générer un processus de colonisation des Montagnes qui s’étendra sur plusieurs siècles. 

Et pourtant, dès la préhistoire…

La région, que nous appelons actuellement Le Locle et Les Montagnes, constitue déjà un lieu de passage durant l’Antiquité, voire la préhistoire. Au 20e siècle, des fouilles archéologiques montrent que « la région était habitée dès l’époque mésolithique »[1]. En effet, le réchauffement durable du climat permet à cette époque l’arrivée de chasseurs en altitude. Des Silex et des points de flèches y ont été découverts. Ceux-ci se trouvent actuellement au Musée archéologique du Laténium situé à Hauterive, de même qu’une… molaire de mammouth. De toutes nouvelles recherches, menées par l’Office cantonal du patrimoine, montrent que la présence humaine devait être bien antérieure[2].

Toutefois, rien ne laisse à penser que cette implantation et autre habitation n’étaient autres qu’occasionnelles ou accidentelles. 

Le rôle important des ordres monastiques (moines)

Les ordres monastiques, c’est-à-dire des communautés de moines, ont eu une importance considérable durant le Moyen Âge. C’est au 6e siècle que Benoit de Nursie fonde un monastère au Mont Cassin en Italie. Saint-Benoit est considéré comme l’un des maîtres à penser de la vie monastique, en appelant notamment à l’austérité. On lui doit notamment « la règle » (pauvreté, chasteté et obéissance) qui régit la vie quotidienne des moines. Durant plusieurs siècles, les monastères bénédictins vont croître.

D’autres ordres monastiques verront le jour, dont celui, par exemple, des Cisterciens au 11e siècle ou à partir du 12e siècle des ordres mendiants, dont les Franciscains ou les Dominicains[3].

Durant le Moyen-Âge, les seigneuries n’ont eu de cesse de s’appuyer sur ces communautés pour réaliser certains de leur dessein. Ainsi, en 1143, les Seigneurs de Neuchâtel, Mangold et Rodolphe, font une donation, afin de permettre la réalisation d’une abbaye à des « Prémontrés » du Val-de-Ruz. Le monastère de « Prémontré », à Laon dans l’Aine, a été fondée, en 1120, par Norbert de Xanten. L’ordre monastique fait de nombreux adeptes et fonde rapidement une multitude de centres, dont celui de Fontaine-André, Montbéliard, Bellelay ou de Porrentruy.

« Vallem de Losculo »

Le Locle fait son entrée dans l’histoire au 12e siècle. C’est en effet en 1151 que les Seigneurs de Valangin établissent une charte en faveur des moines blancs de l’abbaye de Fontaine-André : « dederunt nobis pratum apud Amens quod vulgo calcina dicitur et vallem de Losculo »[4]. La vallée du Locle y est clairement mentionnée. Toutefois, si le lieu précis ne nous est pas connu, il est fort probable que celui-ci recoupe la localité actuelle. En effet, la présence d’eau, si rare dans les Montagnes, joua un rôle de première importance. L’or bleu, source de vie, eut un pouvoir d’attraction considérable sur les premiers colons. D’ailleurs, Le Locle (lasculus) viendrait du diminutif de « Lac » (lacus). Il pourrait également dériver du celte « Loch-cle », qui signifie l’« eau cachée », « allusion aux nombreuses eaux ascendantes qui émergeaient au fond de la vallée »[5].

L’implantation des premiers sujets de la Seigneurie de Valangin ne fut cependant pas une villégiature. Les colons durent maîtriser une nature souvent hostile et sauvage. L’appropriation des lieux nécessita une transformation importante de leur environnement. Les vastes forêts forcèrent les moines et leur escorte à les déboiser, afin de favoriser l’agriculture et par là même leur moyen de subsistance.  

Le défrichement : large processus continental

Le déboisement de la Vallée du Locle s’inscrit dans un large processus « européen ». En effet, à partir de l’An mil, les faibles rendements agricoles nécessitent la recherche de nouvelles terres cultivables, ce d’autant plus que la population augmente. En collaboration avec le clergé, dont la puissance ne cesse de croître en ce siècle de Croisades, de nombreux Seigneurs prennent l’initiative d’autoriser la conquête de nouveaux espaces.

Si la vallée du Locle, traversée par les légions romaines, était bien entendu connue depuis l’Antiquité, les conditions d’existence dans les Montagnes restaient difficiles et rendaient par conséquent peu attractive la région. Au 11e et 12e siècle, le réchauffement du continent va favoriser la colonisation et l’exploitation de nouvelles terres, rendues nécessaires par l’évolution démographique. Les moines blancs de l’abbaye de Fontaine-André défrichent la Vallée et les Montagnes. L’endroit prend d’ailleurs le nom de « Noires-joux », référence à la méthode de déboisement consistant à brûler les forêts. Nombre de lieux-dits ou de localités feront référence à cette méthode. Pour exemple, les Brenets, « troisième mairie indépendante des Montagnes » en 1539, semblent tirer son nom de l’allemand « brennen » (brûler)[6]

À l’origine de la colonisation de la Vallée du Locle, l’habitat reste dispersé. L’économie se concentre avant tout sur « l’élevage et l’économie laitière »[7].

Les siècles suivants seront alors marqués par différentes franchises et reconnaissances des souverains successifs, permettant d’assurer son développement et son autonomie. Bon gré, mal gré, Le Locle sera parfois entraîné dans les différents conflits européens, avant de bénéficier d’un développement économique particulièrement réjouissant, tout d’abord dans la dentelle, puis l’orfèvrerie et bien entendu l’horlogerie. Des paysans horlogers aux luttes ouvrières, des courants religieux aux grands penseurs, Le Locle, Mère commune des Montagnes neuchâteloises, constitue un témoin de tout un pan de l’histoire industrielle et sociale mondiale.    

[1] FAESSLER, François, Histoire de la Ville du Locle : des origines à la fin du XIXe siècle, Édition de la Baconnière, Neuchâtel, 1960, p. 9. La période mésolithique, que nous pourrions qualifier d’âge moyen de la maîtrise de la pierre, s’étend de 10’000 à 5’000 ans avant notre ère. 

[2] À la suite d’analyses de pollen menées par l’OPAN le cadre du projet de contournement de la Ville du Locle.

[3] En annexe se trouvent quelques ordres monastiques parmi les plus importants du Moyen-Âge et de la Renaissance.

[4] FAESSLER, François, Histoire de la Ville du Locle : des origines à la fin du XIXe siècle, Édition de la Baconnière, Neuchâtel, 1960, p. 10.

[5] BURGER, André et SCHAER, Jean-Paul, « La vallée du Locle – Oasis jurassienne ». In Cahiers de l’Institut neuchâtelois, Éditions Gilles Attinger, Hauterive, 1996, p.8.

[6] FAESSLER, p. 5.

[7] MEYER, Werner, « Défrichement », in Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 11.11.2008, traduit de l’allemand par Martin, Pierre-G. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/007949/2008-11-11/, consulté le 10.04.2020.

Bibliographie

BURGER, André et SCHAER, Jean-Paul, “La vallée du Locle – Oasis jurassienne”. In Cahiers de l’Institut neuchâtelois, Editions Gilles Attinger, Hauterive, 1996.

FAESSLER, François, Histoire de la Ville du Locle : des origines à la fin du XIXème siècle, Edition de la Baconnière, Neuchâtel, 1960.

FAVRE, David & Co, “Les Brenets et sa vieille Eglise : “500 ans d’une Histoire Commune“, Le Locle, 2011.

Le rôle important des ordres monastiques (moines)

En 1143, les Seigneurs de Neuchâtel, Mangold et Rodolphe, font une donation, afin de permettre la réalisation d’une abbaye à des “Prémontrés” du Val-de-Ruz. L’abbaye de “Prémontré”, à Laon dans l’Aine, a été fondé, en 1120, par Norbert de Xanten. L’ordre monastique fait de nombreux adeptes et fonde rapidement une multitude d’abbayes, dont celle de Fontaine-André, Montbéliard, Bellelay ou de Porrentruy.

Les ordres monastiques ont eu une importance considérable durant le Moyen Age. Ceux-ci sont nombreux et ont eu une grande influence sur le développement des sociétés. Nous pouvons citer par exemple :

Bénédictins : Au 6ème siècle, Benoit de Nursie fonda un monastère au Mont Cassin en Italie. Durant plusieurs siècle, les monastères bénédictins vont croître considérablement. Saint-Benoit est considéré comme l’un des maîtres à penser de la vie monastique, en appelant notamment à l’austérité. On lui doit notamment “la règle” (pauvreté, chasteté et obéissance) qui régit la vie quotidienne des moines.

Cisterciens : Robert de Molesme (v. 1029-1111) fonde en 1098 l’abbaye de Cîteaux. Bernard de Clairvaux (1090-1153) en deviendra le grand penseur et développera considérablement l’ordre, qui se répandra à travers la plupart des régions de l’Europe médiévale. Bernard de Clairvaux prêcha la seconde croisade (1146). A partir du début du XIIIème siècle, l’ordre cistercien, accumulant des richesses par ses réseaux commerciaux, sera progressivement supplanté par les ordres mendiants.

Franciscains : Fondé en 1209 par François d’Assise en Italie, l’ordre souhaite revenir à l’état de pauvreté et de simplicité qui caractérisa les premiers chrétiens et moines. Les “frères mineurs” sont un “ordre mendiant”. Les grands penseurs sont notamment saint Bonaventure, Roger Bacon, Duns Scot et Guillaume d’Ockham.

Dominicains : Ordre prêcheurs, constitué par Dominique de Guzman (1170-1221), les dominicains sont le bras armé de l’Eglise contre les hérésies. L’Inquisition sera la forme la plus connue de cette lutte. Les dominicains seront en concurrence avec les franciscains pour le contrôle des chairs universitaires. Membre de l’ordre, penseur fondamental de la scolastique, inscrit dans la continuité de la pensée aristotélicienne, Thomas d’Aquin (v. 1224.1274) reste l’un des plus grands philosophes du moyen-âge occidental.

Capucins : Fondé en 1525 par Matthieu de Baschi, les capucins sont les hérités des “frères mineurs” et de Françoise d’Assise. Dénonçant la dérive de l’ordre des Franciscains, ils souhaitent revenir aux fondements de Saint François. Ils se caractérisent notamment par un capuchon pointu.

Jésuites : Fondé en 1539, notamment par Ignace de Loyola, les jésuites ou “compagnie de Jésus” constituent une pièce maîtresse de l’Eglise pour l’évangélisation du nouveau monde. Érudits, ils prennent part à la contre-réforme.

Il est à noter que si l’idée de base de pauvreté est l’un des points centraux des ordres, ceux-ci vont progressivement et la plupart du temps accumuler des richesses considérables.

 

-> Frise chronologique