Grève générale

Dans la continuité de la Révolution russe d’octobre 1917 et fatigué par une guerre « capitaliste » qui a ensanglanté une grande partie de la planète, le champ des possibles s’ouvre. Au niveau socio-économique, la situation de la classe ouvrière, fortement touchée, entre en contradiction avec l’enrichissement et les énormes bénéfices accumulés par certains entrepreneurs durant le conflit mondial. Le nombre de grèves ne cesse d’augmenter.

Le Comité d’Olten et l’arrivée de l’armée à Zürich

En février 1918, un comité, composé de membres de l’Union syndicale suisse et de la direction du parti socialiste, se constitue à Olten. Celui-ci est « destiné à piloter sur le plan national »[1] une grève générale.

En novembre, anticipant les commémorations de la Révolution russe et en réaction aux mouvements qui secouent les pays européens, le général Wille demande au Conseil fédéral d’envoyer les troupes encore mobilisées à Zürich. En effet, la capitale économique est sujette à de nombreuses manifestations. Le 7 novembre, conformément aux décisions du Conseil fédéral, l’armée se déploie.

Le 9 novembre, en réaction à l’intervention de l’armée, des manifestations se déroulent dans différentes villes de Suisse. Au Locle, une grève de protestation est lancée.

La Grève générale

Le Comité d’Olten ne peut plus reculer. Le 12 novembre 2018, il décrète la grève générale dans plusieurs centres industriels. Le comité exige les points suivants :

  1. renouvellement immédiat du Conseil national selon le système de la représentation proportionnelle,
  2. droit de vote et d’éligibilité pour les femmes,
  3. introduction du droit au travail pour tous,
  4. introduction de la semaine de 48 heures, dans toutes les entreprises publiques ou privées,
  5. organisation d’une armée essentiellement populaire,
  6. mesures visant à assurer le ravitaillement,
  7. assurance vieillesse et survivants,
  8. monopole de l’État pour les importations et les exportations,
  9. paiement des dettes publiques par les possédants.

Zurich est occupé par l’armée; la délégation soviétique est renvoyée de Suisse.

Les villes industrielles des Montagnes suivent le mouvement : « Comme à La Chaux-de-Fonds, la grève au Locle fut totale »[2]. Le chroniqueur et avocat, Arnold Bolle, écrit : « Au Locle, le Conseil communal fit sonner le tocsin, arborer le drapeau rouge sur l’Hôtel-de-Ville et vota une adresse de sympathie aux grévistes »[3]. Les autorités exécutives communales, à majorité socialiste, soutiennent les grévistes et font bloquer les Services industriels et par là même la fourniture d’électricité. La production des fabriques s’arrête. L’office des Postes et le Technicum ferment leur porte.

Constitué notamment de radicaux et libéraux, le comité du groupement patriotique « Ordre et Liberté » appelle, pour sa part, à rejeter la grève. Il demande aux membres socialistes du Conseil communal de rétablir l’électricité pour le fonctionnement des usines. Le Conseil s’y refuse, les invitant à se tourner vers le cercle ouvrier ou la fédération des ouvriers horlogers. À La Chaux-de-Fonds, le Conseil communal refuse de placarder l’appel du Conseil d’État sur l’arrêt de la grève.

Fin de partie

Le 15 novembre 1918, les soldats envoyés par le Conseil fédéral deviennent maîtres de la situation. Le comité d’Olten est encerclé. La grève s’arrête. Un tribunal militaire est mis en place. Au niveau national, les leaders Robert Grimm, Fritz Platten et Friedrich Schneider écopent de six mois de prison.

Les autorités de la Ville du Locle sont, elles aussi, inquiétées. Les membres socialistes du Conseil communal font l’objet d’une enquête, notamment sur la fermeture des services industriels. Comme le rappelle l’historien Sébastien Abbet, « Au législatif communal, les élus radicaux et libéraux feront, dès le début de 1919, la grève des séances durant plusieurs semaines »[4].

Un rapport de majorité sur les décisions du Conseil communal durant la grève est accepté par le législatif par 19 voix contre 18. Furieux, les partis bourgeois quittent la salle.

Au final, les conseillers communaux Marcel Grandjean, René Fallet, Samuel Nicolet et Julien Tissot sont condamnés à une amende de 150.- ; les membres du comité de grève, Marc Inabnit, Henri Spillmann et Henri Perret à 200.-. 8 à 10 étrangers, habitants au Locle, sont expulsés du territoire pour leur participation aux manifestations.

Cette grève générale sera suivie par d’autres grèves sectorielles. Pour exemple, en 1919, les mécaniciens horlogers cessent de travailler, parallèlement à ceux de la Ville de Bienne. Ils obtiendront une meilleure reconnaissance de leur travail (augmentation de salaire).

Par la suite, les divergences au sein même du parti socialiste se renforceront. En fin 1918, la gauche du PS crée, autour de Jakob Herzog, un premier parti communiste à Zurich. Le refus d’une partie du PS d’adhérer à la IIIe Internationale augmente les tensions. Les jeunes socialistes, autour de Fritz Platten, Franz Welti, Rosa Grimm et Jules Humbert-Droz quitte le PSS et fonde, les 6 et 7 mars 1921, le parti communiste suisse.

Les acquis de la grève générale, pour leur part, sont divers. La semaine de 48 heures et le système proportionnel sont introduits en 1919. L’AVS sera accepté par le peuple en 1925, mais n’entrera en vigueur qu’en 1948, soit après de longues luttes et, sur le plan international, une seconde guerre mondiale.

Le 18 mars 1922, le Cartel syndical organise une manifestation regroupant plus de 8’000 personnes à Neuchâtel. Il proteste contre la baisse des indemnités de chômage[5].

Illustration

«L’Œil de Moscou» à Paris, Jules Humbert-Droz, Julliard, Collection archives, 1964.

RTS, La grève générale de 1818 : La Suisse au bord de la guerre civile, 2018.

Notes

[1] DEGEN, Bernard, « Grève générale ». In Dictionnaire historique de la Suisse, 9 août 2012.

[2] SCHURCH, p. 82.

[3] BOLLE, Arnold, Le pays de Neuchâtel : Vie civique et politique, Collection publiée à l’occasion du centenaire de la République, Neuchâtel, 1948, p. 63.

[4] ABBET, Sébastien, La Grève dans la Ville : une cité horlogère à travers guerre mondiale, conflits sociaux et restauration de l’ordre (Le Locle, 1912-1920), Unil, 2019, p. 2 : www.academia.edu.

[5] BARRELET, Jean-Marc & Co, Histoire du pays de Neuchâtel : De 1850 à nos jours, Tome 3, Éditions Gilles Attinger, Hauterive, 1993, p. 167.

 

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