Rousseau, de Miranda et l’esprit des lumières

« Descendants d’hommes libres, dépourvus d’aristocratie, curieux de choses nouvelles […] habitués à réfléchir et à discuter tout en maniant la lime ou le burin, les ouvriers des Montagnes possédaient naturellement le sens et le goût de la démocratie. Très égalitaires et volontiers un peu frondeurs, ils formaient un milieu des plus favorables aux doctrines répandues vers la fin du XVIIIe siècle »[1] [1]. C’est ainsi que, l’ancien rédacteur de La Sentinelle, le Chaux-de-Fonnier Charles Schürch (1882-1951) décrit l’accueil des idées des lumières dans les Montagnes neuchâteloises. Il est vrai que les idées des lumières auront une audience toute particulière au Locle et dans les Montagnes neuchâteloises.

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)

Né à Genève, le philosophe et écrivain Jean-Jacques Rousseau eut une influence considérable sur ses contemporains et de manière plus générale sur la philosophie. Après avoir dû quitter Paris à la suite de la parution Du Contrat social et évitant Genève, il se rend au Val-de-Travers, où le roi de Prusse accepte alors sa venue. Ses pérégrinations l’emmènent notamment dans la Mère commune. L’auteur du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes nous laisse quelques descriptions de l’horloger-paysan.

Même si son passage fut relativement bref, il montre néanmoins que le pays de Neuchâtel semble être, pour beaucoup, une terre d’accueil et de relative tolérance. Toutefois, en 1765, la Classe des pasteurs de Neuchâtel excommunie Rousseau, provoquant son départ à l’île Saint-Pierre.

Le philosophe décède subitement en France en 1778. Néanmoins, sa pensée fera des émules. En 1782, à Genève, le parti populaire, prônant les principes d’égalité de Rousseau, est défait. Appuyée par une coalition réunissant la France, les Sardes et les Bernois, l’aristocratie reprend le pouvoir. Les leaders des « Représentants » (parti populaire), dont certains sont horlogers, sont bannis. Ces exilés genevois se réfugient notamment dans les Montagnes neuchâteloises, propageant par là même les idées du philosophe et des Lumières[2].

Effigie post-mortem de la Révolution française, le corps de Jean-Jacques Rousseau est transféré, en 1794, au Panthéon.

Francisco de Miranda (1750-1816)

Né à Caracas, Francisco de Miranda (1750-1816) s’engage, de 1779 à 1781, dans les armées françaises pour l’indépendance des États-Unis d’Amérique. Il y rencontre Georges Washington. Farouchement indépendantiste pour les pays d’Amérique vis-à-vis des conquérants hispaniques, il parfait sa formation révolutionnaire durant les années quatre-vingt sur le vieux continent.

En 1788, son parcours européen l’emmène en Suisse et notamment au Locle, dont les maisons « feraient honneur à la plus belle des cités »[3]. Il s’installe à l’Hôtel de la Fleur-de-Lys, qu’il apprécia tout particulièrement… et « où l’hôtesse lui fit mille compliments »[4]. Durant son séjour, Miranda s’en va trouver l’horloger Courvoisier et visite les moulins souterrains du Col-des-Roches.

S’engageant du côté des révolutionnaires français, il participe, en 1972, à la bataille de Valmy. Après le Coup d’État du 18 fructidor (4 septembre 1797), il s’exile, avant de retourner au Venezuela. Héros de l’indépendance de son pays, il est nommé généralissime et dirigeant, en 1811, de la première république vénézuélienne. Cette dernière s’écroule, la même année, face à la contre-attaque espagnole. Emprisonné, il meurt dans la Ville espagnole de Cadix en 1816.

Les lumières se propagent : la librairie de Samuel Girardet

Contre l’obscurantisme, le rationalisme et les lumières se propagent dans les Montagnes. L’un des vecteurs essentiels de cette diffusion fut sans nul doute le libraire Samuel Girardet (1730-1803).  À une époque où les librairies étaient plus que rares, celle de Girardet, situé à l’est du Locle, comportait de nombreux ouvrages, notamment interdits en France voisine (Diderot…). Sa librairie fut l’une des plaques tournantes de la circulation des idées progressistes et révolutionnaires dans les Montagnes neuchâteloises. Par la suite, ces enfants jouèrent également un rôle dans la transmission de l’information sur les grands événements qui marquèrent la fin du 18e siècle.

En 1788, un voyageur français, Jacques Cambry (1749-1807) de passage dans les Montagnes écrit que « le François corrompt tout dès qu’il se montre ; il communique ses folies, comme la peste, par le moindre contact : dans son adolescence et dans sa force, il répandra partout ses lumières et la raison. – Attendons. »[5].

Le Locle et les Montagnes semblent constituer un terreau fertile pour la pensée des Lumières et les idées progressistes. Terre d’accueil de nombreux émigrés, penseurs et porteurs d’idéaux, la révolution neuchâteloise semble en germination.

Les siècles à venir verront l’arrivée entre autres d’écrivain, à l’instar de Hans Christian Andersen, de révolutionnaires, tels que Bakounine, des utopistes phalanstériens, de la pensée socialiste et communiste ou des bâtisseurs de villes que seront les travailleurs du reste de la Suisse, des Italiens, Portugais et autres ressortissants.

Notes

[1] SCHURCH, Charles, Travail et prévoyance sociale, Collection publiée à l’occasion du centenaire de la République, Neuchâtel, 1948, p. 17.

[2] Idem.

[3] CALAME, Caroline, Et tout près s’ouvre l’abîme… voyageurs au Locle et aux Moulins souterrains (1770-1830), publié par Moulins souterrains, Le Locle, 2003, p. 42.

[4] Idem.

[5] CAMBRY, Jacques, Voyage pittoresque en Suisse et en Italie, par le Cen. Cambry, Préfet du département de l’Oise, de l’académie de Cortone, et membre de la Société d’agriculture du département de la Seine. – À Paris, chez H. J. Jansen, imprimeur-libraire, Rue des Maçons-Sorbonne, no 406, an IX de la République [1800], tome 1, pp. 236-238. Tiré de CALAME, p. 40.

Portrait

Quentin de la Tour, Jean-Jacques Rousseau, Pastel, 1753.

Bibliographie

CALAME, Caroline, Et tout près s’ouvre l’abîme… voyageurs au Locle et aux Moulins souterrains (1770-1830), publié par Moulins souterrains, Le Locle, 2003.

SCHURCH, Charles, Travail et prévoyance sociale, Collection publiée à l’occasion du centenaire de la République, Neuchâtel, 1948.

Notes

1. SCHURCH, 17.

2. Idem.

3. CALAME, p. 42.

4. Idem.

5. CAMBRY, Jacques, Voyage pittoresque en Suisse et en Italie, par le Cen. Cambry, Préfet du département de l’Oise, de l’académie de Cortone, et membre de la Société d’agriculture du département de la Seine. – A Paris, chez H. J. Jansen, imprimeur-libraire, Rue des Maçons-Sorbonne, no 406, an IX de la République [1800], tome 1, pp. 236-238. Tiré de CALAME, p. 40.

 

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