Création de la Chambre de charité

À la suite d’un legs de Pierre Huguenin pour les pauvres du Locle et de l’initiative de communiers, la Générale communauté décide, en 1713, de créer la Chambre de charité. Son but est de subvenir aux besoins vitaux des personnes précarisées de la Mère commune et « d’abolir la fainéantise et le libertinage qui sont les suites ordinaires de la mendicité »[1]. Indépendante à l’origine de la commune, elle s’organise et se structure au sein d’un comité. Elle instaure une aide privée pour certaines catégories de la population et sous condition autour de la valeur travail.

La Chambre de Charité

Au fil des crises économiques, notamment alimentaires, et de la hausse de la démographie, la précarisation de la population augmente. La criminalité, les pratiques déviantes de la morale ambiante et un sentiment d’insécurité croissent, préoccupant par la même la classe dominante. Cette dernière cherche des solutions pour pacifier la société. L’existence de pauvres permet également aux riches de prouver leur générosité, montrer l’étendue de leur richesse et gagner leur salut dans une société où la religion et les pasteurs jouent un rôle important.  

En 1713, à la sortie du culte, devant des délégués du gouvernement et le pasteur Jean-Frédéric Osterval (1663-1747) de Neuchâtel, la Générale communauté approuve la création d’une Chambre de charité[2]. A l’origine, son financement est assuré notamment par un héritage de Pierre Huguenin. Rapidement, des récoltes d’argent sont lancées, « grâce à des quêtes, à des dons et des legs et au revenu de son capital »[3]. Les mariages et les décès deviennent souvent l’occasion de trouver de l’argent dévolu à la Chambre et aux pauvres du Locle. Des loteries ponctuelles sont également organisées.

Le soutien aux plus démunis est conditionné à une contrepartie : le travail. Le but est de lutter contre l’« oisiveté », mais également de favoriser l’acquisition et l’exercice de savoir-faire, notamment dans l’horlogerie, la dentelle ou la fabrication de cigare. Par ailleurs, les bénéficiaires s’engagent pas serment à rembourser leur dette en cas de retour à meilleure fortune.

Faute de locaux, les indigents sont mis en pension chez des particuliers[4]. Tout comme les personnes bien portantes, les vieillards et les enfants doivent s’acquitter de travaux, parfois lourds, pour « compenser le coût de leur entretien »[5]. Les enfants en apprentissage ne perçoivent pas de rémunération. En effet, le but est d’éviter qu’ils accumulent un pécule susceptible de permettre un mariage et la constitution de famille trop nombreuse[6].

Les bons et les mauvais pauvres

Comme le rappelle l’historienne Estelle Fallet, un Registre des pauvres est tenu à jour pour chaque quartier. De plus, la Chambre de charité catégorise les indigents. Ainsi, elle distingue :

Les bon pauvres : ceux-ci se caractérisent par leur reconnaissance vis-à-vis de la Chambre et leur volonté de sortir de la misère dans laquelle ils se trouvent.

Les mauvais pauvres : ceux-ci sont notamment considérés comme « vicieux et fainéans […passant] leur vie dans la paresse [… tout en étant] dangereux et nuisibles à la société ». On reconnaît quand même que la cause de leur situation semble extérieure, « étant nés avec de mauvaises dispositions & n’ayant jamais eu devant eux que de mauvais exemples ni reçu aucune bonne éducation »[7].

Système d’assistance : Commune, paroisse, Chambre de Charité et État

Avant la fin du 19e siècle, comme le rappelle l’historienne Caroline Calame, quatre structures caritatives principales existent au Locle :

La Commune : Elle s’occupe des indigents communiers, c’est-à-dire des personnes originaires de la commune. En cas de précarisation, les habitants non communiers, qui peuvent se voir expulser du territoire, doivent se tourner vers leur commune d’origine.

La Paroisse : Elle redistribue une partie de ces quêtes aux habitants pauvres, mais aussi aux indigents de passage.

La Chambre de Charité : Fonctionnant comme une « société de secours mutuel », elle apporte son aide uniquement aux communiers qui l’ont financée et à leurs descendants. À partir du début du XIXe siècle, la Chambre connaît de graves difficultés financières. Bénéficiant d’aides communales, elle ouvre ses prestations auprès de l’ensemble des habitants.

L’État : Il vient en aide aux enfants illégitimes, aux réfugiés ou sans communes.

De la vieillesse à… la jeunesse

En 1820, afin d’accueillir des vieillards et des infirmes, la Chambre loue finalement deux pièces dans un bâtiment à l’actuelle rue des Envers 57. Face à une demande croissante, la Chambre de Charité, avec l’appui de la commune, construit un nouveau bâtiment à la rue des Billodes. Celui-ci ouvre en 1826. Des orphelins y sont également reçus, de même que de jeunes gens recevant une formation horlogère. Par la suite, un fonds en faveur de la jeunesse locloise est créé.

À partir de la seconde moitié du 19e siècle, la Chambre de charité connaît de graves difficultés financières. Soutenue par la municipalité, elle peine néanmoins à tendre vers l’équilibre et puise, malgré les dons, dans son capital. Tenue de soutenir l’ensemble des communiers pauvres, habitants par ailleurs en dehors de son territoire, elle est confrontée de surcroît, à l’interne, à des malversations. La commune intervient par des participations financières.

La situation est telle que le Conseil d’État nomme un « Conseil de tutelle de la commune du Locle », sous la présidence du préfet de district, chargé de sauver ce qui peut l’être. C’est cependant une modification législative qui permettra de résoudre un tant soit peu la situation.    

En 1888, la « loi sur les Communes » permet de fusionner la commune de ressortissants avec la municipalité ou commune d’habitants[8]. Le nom de « commune » est donné à cette nouvelle entité politique et territoriale. C’est désormais la commune de domicile qui est chargée de s’occuper des indigents.     

La même année, la Chambre de charité disparait, ouvrant la porte au système d’assistance moderne, en parallèle à la naissance d’autres structures.

En 1950, situé à Côte 24, l’Hospice des Vieillards devient la Maison de retraite de La Résidence. Face à la forte demande, la tour « Mireval » est inaugurée en 1959. A l’heure actuelle, la Résidence est au bénéfice de la loi cantonale sur les Établissement médico-sociaux.

Marie-Anne Calame (1775-1834) et l’institut des Billodes

Jusqu’à la fin du 19e siècle, la charité prédomine dans l’aide aux plus démunis. Un exemple particulièrement intéressant est celui de la création de l’institut des Billodes, dénommé à son origine Établissement de travail. Son initiatrice et bienfaitrice est Marie-Anne Calame.

Née au Crêt-Vaillant, à l’actuel numéro 22, Marie-Anne Calame ouvrit un atelier en peinture sur émail. Elle se refusa à plusieurs prétendants, voulant garder son indépendance et sa liberté pour mener à bien ses projets[9]. Consciente de la pauvreté qui touchait en ce début du 19e siècle une grande partie de la population, elle créa une structure d’aide aux jeunes filles. Ce projet avait pour but notamment de recueillir les orphelines et de soustraire certaines d’entre elles à leur milieu familial.

Calame s’approche de plusieurs amies, qui s’engagent dans un premier temps à verser une contribution d’1 cruz par mois pour les frais d’entretien de cinq filles. Celles-ci vont à l’école, sont surveillées et formées, puis retournent dans leur famille le soir[10]. En 1815, un petit local est loué. De fil en aiguille, l’entreprise de Marie-Anne Calame prend de l’ampleur. En 1820, les garçons furent admis.

Le soutien de certains notables et de nombreux donateurs permet l’acquisition de quatre bâtiments et la construction d’un nouveau, particulièrement imposant, en 1827. Situés en ouest de la cité, en pleine nature, ceux-ci étaient susceptibles d’accueillir 250 enfants.

Si la formation de l’époque était, pour reprendre un terme actuel, bien évidemment « genrée », les enfants sont néanmoins « instruits au-delà de ce qu’on l’est ordinairement dans leur état ; ils apprennent la religion, à lire, à écrire et passablement à calculer ; en un mot ils se mettent en état de gagner honnêtement leur vie »[11].

La motivation de Calame fut avant tout morale et religieuse. Décriée pour sa piété et son attachement au Réveil, courant réformateur du protestantisme[12], elle fut souvent empêchée d’obtenir des fonds bienvenus. Pour exemple, le Conseil d’État intercéda auprès du monarque prussien pour l’empêcher d’obtenir des soutiens financiers.

Femme engagée et convaincue, Calame ne se laissa pas abattre et continua son projet. Elle était aimante, mais également sévère, tant avec les enfants qu’avec son personnel, qui la traitait de « petit Napoléon »[13]. Elle prépara également sa succession, quittant sa vie terrestre en 1834.

L’institut des Billodes devint pérenne et existe encore aujourd’hui sous la forme d’une fondation. Les effectifs de l’établissement des Billodes évoluèrent au gré de la conjoncture économique. Ainsi, on dénombre moins de 50 pensionnaires en 1850, mais plus de 200 lors des crises horlogères de 1920 et 1930[14]. À l’heure actuelle, le centre accueille une cinquantaine de pensionnaires. La pédagogie, pour sa part, évolua au gré des changements de paradigmes éducatifs.

Le financement des Billodes bénéficia également de l’intervention des collectivités publiques, dont notamment celle de l’État. En effet, en 1967, la Loi sur l’aide financière aux établissements spécialisés pour enfants et adolescents est acceptée. La Confédération contribue également à son fonctionnement[15].

L’institut des Billodes connut de nombreuses transformations, à la suite notamment d’un incendie en 1901. Après un nouvel incendie en 1967, la Fondation des Billodes recherche un terrain. Elle bénéficie d’une donation d’une parcelle et d’une maison située sur les Monts par Mme Jeannette Huguenin. Un nouveau bâtiment y est érigé à partir de 1972 et est inauguré en 1975[16].  

La collectivité locloise fut particulièrement reconnaissante de l’œuvre de l’une de ses bienfaitrices. Ainsi, en 1918, à la suite de l’inauguration du nouvel Hôtel de Ville à la rue du Commerce, la cité rebaptise l’ancienne rue de l’Hôtel-de-Ville du nom de Marie-Anne-Calame.

En 2022, une œuvre monumentale de l’artiste néerlandais Telmo Miel est inaugurée par l’Exomusée sur l’un des bâtiments de la rue. Cette fresque représente un enfant sur une chaise imaginant être sur un vélo.

Système de couverture sociale publique et parapublique

Le 20e siècle est marqué par une implication toujours plus importante des pouvoirs publics dans la lutte contre la précarité et des aléas de la vie. Le système d’assurances et d’assistances sociales publiques se développe. Un transfert progressif du privé au public, tant au niveau fédéral, cantonal que communal, est alors mis en place. Ce système favorise une certaine impartialité et universalité en matière d’aides.

Les structures antérieures deviennent alors publiques ou du moins parapubliques, en prenant la forme de fondations à but non lucratif, financées en grande partie par des deniers publics.

La Chambre de charité, tout comme l’institut des Billodes, constituent les prémisses de notre système de protection sociale, qui se développera, sous l’impulsion du mouvement ouvrier, tout au long du 19e et 20e siècle. Dernier filet de protection, l’aide sociale relève, à l’heure actuelle, toujours des communes, bien qu’elle soit régie par une loi cantonale et garantie par la Constitution fédérale. 

Illustration

BOURDON, Sébastien, Les mendiants, 1640 (partie du tableau).

Notes

[1] FAESSLER, François, Histoire de la Ville du Locle : des origines à la fin du XIXe siècle, Édition de la Baconnière, Neuchâtel, 1960, p. 84.

[2] FALLET, Estelle, L’Atelier d’horlogerie de l’Hospice du Locle 1827-1879 : l’éducation par le travail, Fondation la Résidence, Le Locle, 1999, p. 14.

[3] CALAME, Caroline, EVARD Maurice & SCHLUP Michel, Enfance perdues, enfances sauvées ?, Nouvelle Revue neuchâteloise, N° 131, La Chaux-de-Fonds, 2016, p. 7. 

[4] La Chambre de charité bénéficie de locaux durant une courte période de 1754 à 1766, mais les coûts engendrés poussent le comité à renoncer à ces espaces.

[5] FALLET, Estelle, L’Atelier d’horlogerie de l’Hospice du Locle 1827-1879 : l’éducation par le travail, Fondation la Résidence, Le Locle, 1999, p. 16.

[6] Ibid, p. 17.

[7] FALLET, Estelle, L’Atelier d’horlogerie de l’Hospice du Locle 1827-1879 : l’éducation par le travail, Fondation la Résidence, Le Locle, 1999, p. 16.

[8] PERREGAUX, Histoire de la Chambre de charité du Locle. In « Musée neuchâtelois : Recueil d’histoire nationale et d’archéologie », Neuchâtel, 1913, p. 223.

[9] FAESSLER, François, Cent cinquante ans de vie aux Billodes : 1815 – 1965, Gasser, Le Locle, 1965, p. 5.

[10] CALAME, Caroline, EVARD Maurice & SCHLUP Michel, Enfance perdues, enfances sauvées ?, Nouvelle Revue neuchâteloise, N° 131, La Chaux-de-Fonds, 2016, p. 19. 

[11] Extrait du maire du Locle, Charles-François Nicolet au Conseil d’État, 26 mai 1825, AEN, cité par CALAME, Caroline, EVARD Maurice & SCHLUP Michel, Enfance perdues, enfances sauvées ?, Nouvelle Revue neuchâteloise, N° 131, La Chaux-de-Fonds, 2016, p. 28. 

[12] Le Réveil s’opposait au rationalisme, jugé selon eux, excessif du protestantisme.

[13] CALAME, Caroline, EVARD Maurice & SCHLUP Michel, Enfance perdues, enfances sauvées ?, Nouvelle Revue neuchâteloise, N° 131, La Chaux-de-Fonds, 2016, p. 27. 

[14] FAESSLER, François, Cent cinquante ans de vie aux Billodes : 1815 – 1965, Gasser, Le Locle, 1965, p. 21.

[15] CALAME, Caroline, EVARD Maurice & SCHLUP Michel, Enfance perdues, enfances sauvées ?, Nouvelle Revue neuchâteloise, N° 131, La Chaux-de-Fonds, 2016, p. 101.

[16] Ibid, p. 102.

-> Frise chronologique