Fresques monumentales de l’Hôtel de Ville du Locle

Les fresques monumentales de l’Hôtel de Ville du Locle sont parmi les plus belles de Suisse. En est du bâtiment, la peinture est à l’honneur, en raison de sa “solidité” et en référence à la “Renaissance” qui fut son âge d’or et dont s’enorgueillissent [encore aujourd’hui] “des villes telles que Rome, Parme, Bologne, Florence, Mantoue, etc[1]. En ouest, la mosaïque y est privilégiée.

En 1918, l’architecte de l’Hôtel de Ville du Locle, Charles Gunthert (1878-1918), meurt. Quelque temps avant son décès, il prend contact avec le peintre vaudois Ernest Bieler (1863-1948) pour la réalisation de fresques monumentales sur les frontons du bâtiment. La première voit le jour en 1922, la seconde dix ans plus tard en 1932.

Les hommes ont divisé le cours du Soleil, déterminé les heures

En 1922, Ernest Bieler réalise, en est du bâtiment, une fresque sur la symbolique du Temps. Des corps de métiers y sont représentés : les astrologues, les horlogers, les dentellières; les passions et les différentes étapes de la vie aussi.

Premier plan

Les astrologues

Au premier plan, « deux astrologues géants brandissent un compas », sous lequel il est écrit « Les hommes ont divisé le cours du Soleil, déterminé les heures ». Le compas symbolise les sciences exactes, fixant le temps et le cycle d’une existence. De sa pointe, son trait retrace le parcours de la pensée et les différents cercles du monde[2].

Deuxième plan

Les dentelières et les horlogers

Au second plan de la fresque figure l’évolution de l’artisanat de la Mère commune.

Les Dentellières filent le tissu et, avec leur fuseau, forment la dentèle. Jusqu’au 18e siècle, à l’instar de nombreuses cités, Le Locle se distinguait par ce bel artisanat. Elles représentent également le temps qui passe, la destinée de l’Homme, référence sans doute aux Parques (latin) ou Moires (grec), ces fileuses mythologiques[3]. Elles filaient le fil de la naissance et de la vie avec ses différents motifs variés avec de le coupé, marquant la mort de l’individu. Les dentelières font progressivement place aux Horlogers.

L’horlogerie et son industrialisation sont représentées par la corne d’abondance. Celle-ci est tenue par une femme à la chevelure végétalisée, inspirée de l”Art nouveau” et d’une conception de la nature luxuriante.

À son établi, avec son binoculaire, l’horloger travaille. Une ouvrière lui tend une pièce sortie d’un carton sur lequel est inscrit le nom de “zen”. Cette référence rappelle le point culminant du Soleil ; la marque de la première fabrique horlogère mondiale, née au Locle, ou encore les principes de méditation asiatique, connus à cette époque.   

Troisième plan

Les muses, les passions et les sciences

Au-dessus de ces activités, tel un cadran solaire, les heures de la vie : la jeunesse, la virginité, la maternité… et bien sûr la mort. Ces heures s’entremêlent avec plus d’une trentaine de muses et de femmes se rapportant chacune à un moment, une passion ou une science constitutive de la vie et de la société. Si ces personnages, leurs attributs et leurs significations, pris en eux-mêmes ou en interaction, semblent facilement reconnaissables et compréhensibles, nous nous permettons néanmoins de les mentionner et d’en donner une interprétation :

Le « Passé », personnifié par un vieil homme couché, se fait « Légende » sous les traits d’une belle Celte aux tresses blondes. Cette dernière s’incline alors devant l’« Histoire », écrivant le grand récit de l’humanité. Portant une couronne de laurier, munie d’une plume et de papier, l’« Histoire » regarde la « Vérité » (5).

Affectée au plus profond de son être, une vieille femme se mord les doigts, prise de « Remords »  face à ses actes passés et sa fin inéluctable. Seule l’« Ironie » , à ses côtés, semble lui offrir une porte de sortie et apaiser ses souffrances.

La « Douleur », replier sur elle-même, tient son visage entre ses mains.

La « Dissimulation » est une femme, à peine visible, qui se cache derrière les deux masques accolés, hérités de l’Antiquité : l’un joyeux, l’autre sévère. Reflet peut-être d’un monde à la fois comique et tragique où nous serions condamnés à dissimuler notre “moi”.

La « Vérité » est nue. Sans apparat ni habillement, celle-ci porte un miroir, rappelant que la Vérité ne nous est jamais donnée immédiatement et pour elle-même. Elle ne se donne qu’à travers une image, un reflet, inversant la réalité du monde. C’est en particulier elle que tente de saisir l’« Histoire ».

L’« Harmonie » est représentée par une musicienne jouant d’une harpe. Symbole de l’équilibre de la société et de la personnalité, l’instrument nécessite un réglage minutieux entre la structure boisée et ses différentes cordes (matérialité) et la vibration de ces dernières (spiritualité).   

La « Vigilance » a son regard tourné vers une lampe à l’huile, protégeant la flamme de sa main.

La « Vanité » prend la forme d’une femme, parée de bijoux, à la chevelure et à la robe rousses, couleur du feu infernal, de la passion et du délire qui consument.

La « Générosité » porte le raisin, fruit de la vigne et véritable don de la Terre. 

Cachée, la « Pauvreté » possède les clefs, symboles de l’initiation, notamment spirituelle et céleste. Elle constitue le commencement et n’est jamais loin, de son contraire : la « Richesse » matérielle et de son coffre. 

La « Justice » porte un bandeau sur les yeux, symbole d’impartialité : être juste indépendamment de la richesse. La balance, quant à elle, pèse les arguments et trouve l’équilibre, alors que le glaive sanctionne. 

La « Prudence » tient un sablier, qui mesure le temps tout en le conservant. Susceptible d’être retourné, il est « l’image du choix » et, par l’étroitesse de son goulot, celui de la finesse.

Au centre, l’« Invocation » lève ses yeux et ses mains vers le Ciel. À ses côtés, la « Gravité » se voile les yeux d’une main et écarte autrui. 

La « Discorde » tient, dans l’une de ses mains, le serpent, dans l’autre le fouet.

La « Jeunesse » agrippe un paon, symbole du paraître et de la légèreté. Sous sa robe, son corps nu se dévoile.

L’« Amitié » y est figurée par deux femmes, discrète s’entrelaçant en toute complicité.

La « Désespérance », prise de détresse, forme un porte-voix de ses mains, afin de mieux se faire entendre.

Dos tourné, la « Coquetterie » dévoile son cou, symbole de beauté. Élégante, habillée d’un bleu clair, couleur de la transparence, celle-ci prend soin de sa chevelure.

La « Sagesse » montre la voute céleste et tient dans sa main la chouette, emblème d’Athènes et de la philosophie (“amour de la sagesse”).

L’oiseau nocturne, silencieux et calme, possède une vision claire malgré la nuit et les ténèbres.

Principe premier, la philosophie fonde et donne vie aux « sciences » et aux « arts ». Les deux muses se regardent : la première porte un globe, signe de son règne sur la totalité de l’univers, et un parchemin ; la seconde tient une équerre. Si le compas détermine le temps, l’équerre, quant à elle, fixe l’espace.

Le « Silence » est signifié par deux doigts sur la bouche, comme pour ne pas réveiller le nouveau-né, enlacé par la « Maternité ». Celle-ci est entourée du Lys blanc, symbole de l’innocence et de l’amour pur.

La « Virginité » la suit, nappée, cachant pudiquement son visage.

Tout comme la philosophie, l’« Espérance » montre la voute céleste et conduit l’« Avenir », personnifié par le jeune enfant à la chevelure fleurie. 

Réalisée par Ernest Bieler du 27 juin au 17 août 1922, cette fresque sera restaurée en 1988 par l’atelier, M. Stähli d’Auvernier.

“La Paix”

En 1932, Ernest Bieler se consacre à la partie ouest du bâtiment. Une mosaïque monumentale voit le jour, appelée “La Paix”.

Une femme ailée y est représentée, portant dans sa main le rameau d’olivier. En raison de la crise horlogère (1929-1933), le financement est principalement assuré par la Fondation d’embellissement.

La Ville du Locle rejoint le cercle très fermé des Cités bénéficiant de fresques monumentales.

Bibliographie

VILLE DU LOCLE, Plaquette sur les Notices de Marcel Chopard sur les fresques de l’Hôtel de Ville du Locle (1923), édition augmentée, Le Locle, 1988.

CHEVALIER, Jean & GHEERBRANT, Alain, “Compas”, In Dictionnaire des Symboles : mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres, Éditions Robert Laffon SA et Éditions Jupiter, Paris, 1982.

Notes

[1] VILLE DU LOCLE, Plaquette sur les Notices de Marcel Chopard sur les fresques de l’Hôtel de Ville du Locle (1923), édition augmentée, Le Locle, 1988, p. 13. 

[2] CHEVALIER, Jean & GHEERBRANT, Alain, “Compas”, In Dictionnaire des Symboles : mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres, Éditions Robert Laffon SA et Éditions Jupiter, Paris, 1982 : “Si loin et si longtemps que tu ailles, c’est au point de départ que tu arriveras de nouveau, de même que le compas dont une pointe est posée : si longtemps qu’il tourne, il ne fera jamais qu’arriver de nouveau au point dont il était tout d’abord parti” (Sohrawardi, L’Archange empourpré, core, II, 248).

[3] Cette référence mythologique m’a été donnée par l’artiste locloise, Marion Jarinek.

 -> Hôtel-de-Ville

-> Frise chronologique

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