Concession d’une foire annuelle

Les foires existent depuis l’Antiquité. En raison de l’absence de moyens de déplacement suffisamment performants, les marchands se rendent dans les localités à intervalles réguliers. Moment de vie, de convivialité et de joie, la « foire » est attendue par les habitants. En raison de la rudesse de l’hiver, les horlogers-paysans des Montagnes se réjouissent, peut-être plus que d’autres, de l’arrivée de celle-ci. Permettant de s’approvisionner et de constituer des réserves, elle se veut être un temps de chaleur humaine, de partage et par conséquent important de la vie communautaire. Son nom vient d’ailleurs de « feria », jour de fête, et a donné l’expression « faire la foire! ».

La Foire : Prérogative seigneuriale

Les foires jouent un rôle prépondérant au Moyen Âge. Elles constituent des lieux publics, « destinées au commerce »[1]. De par leur importance et leur périodicité, elles se distinguent des marchés hebdomadaires[2]. Institution pacificatrice, favorisant l’activité économique, « le droit d’autoriser la création de foires et de marchés est un droit régalien »[3], octroyé par le Seigneur.

Il est à noter qu’aujourd’hui encore la désignation suisse de villes caractérise les entités urbaines bénéficiant historiquement d’un marché. Si la densité de population par kilomètre carré est déterminante, certaines communes sont considérées comme des villes, indépendamment de ce premier critère, en raison de l’existence d’un marché au Moyen-Age.

Les « Foires » du Locle

En 1567, Le Locle reçoit la concession d’une foire annuelle. C’est le Conte de Challant et d’Avy, souverain et Seigneur de Valangin, Jehan Friderich de Madrutz (1534-1886) qui accorde cette concession, à la suite d’une demande des gouverneurs et habitants du Locle. La foire a lieu le premier lundi de juin ou bien « autre jour plus commode »[4]. Les recherches particulièrement intéressantes d’Ernest Hasler montrent qu’en 1661 Le Locle est mis au bénéfice d’une troisième foire (la date de la seconde n’étant pas connue). En 1702, à la suite de l’entrée en vigueur du nouveau calendrier, les foires se tiennent le 20 mars, le 27 juin et le 27 octobre. De plus, la même année, un marché aux chevaux est autorisé tous les samedis des mois de janvier à avril. Pour l’année 1835, le marché aux chevaux se tient au sud du Temple[5].

Il est à noter toutefois qu’au cours du 19e et 20e siècle, selon Ernest Hasler, plus les foires augmenteront en nombre, plus ces dernières perdront en importance.

Maraîchers, éleveurs et autres fripiers

A ses origines, la foire du Locle devait être constituée de maraichers, de fripiers, d’armuriers (hallebardes …), de commerçants de toutes sortes, mais aussi et surtout d’éleveurs.

Les patronymes de la région rappellent bon nombre d’activités artisanales. Ainsi « Tissot » désigne le métier de tisserand ou « Favre », celui de forgeron[6]. L’écrivain français, Charles Joseph de Mayer (1751- env. 1825) écrit, en 1784, « [au Locle] s’y tiennent chaque semaine un marché public, & des foires, qui un jour le disputeront à celle de Guibrai. C’est le même commerce de chevaux, & d’une plus grande quantité de bêtes à cornes. Les ouvrages de dentelles au fuseau s’y vendent, ainsi que tout ce qui regarde l’Horlogerie, la Coutellerie, le fer, l’acier & l’émail »[7].

En 1791, le comte de Stolberg, Friedrich Leopold zu Stolberg (1750-1891), est impressionné par sa venue au Locle. Il commente par ailleurs le marché : « Chaque semaine se tient ici un grand marché. C’était samedi et les rues proprettes de ce village grouillaient de braves gens, comme une fourmilière. Là où demeuraient autrefois des ours et des loups, on trouve maintenant la science mécanique et l’industrie éclairée »[8].

Vers 1784-1786, Beat-Fidel Zurlauben écrit : « Il s’y tient chaque semaine un gros marché public, et il y a des foires annuelles, fameuses par la quantité de chevaux entre autres, et de bêtes à cornes que l’on vend »[9]. La vente de bétails, située la rue du Pont, persistera jusque dans les années 1960.

Avec le temps, les « nouveautés » alimentent les étalages de la foire du Locle. Ainsi, les jouets, les sabots, chapeaux, armes, pipes, montres, crayons, ustensiles de cuisine pour les jeunes mariés, etc. se marchandent et font le bonheur des habitants.

Convivialité, apparat et émulation révolutionnaire

Les foires constituent un moment d’échange et de convivialité, où se déroulent nombre d’activités et de divertissement : Jongleurs, musiciens, jeux de tirs… etc. Composés de différents « communiers », des cortèges et autres défilés sont organisés, mettant en avant par exemple les costumes militaires passés.

Les habitants, en particulier les hommes, se retrouvent dans les tavernes et autres établissements, afin d’étancher leur soif. Ils conversent et parlent des affaires de la cité. Sous la principauté, les foires constituent le prétexte de rassemblements « Républicains », « qui ne manquaient jamais de proférer des propos « séditieux et désobligeants » nécessitant l’intervention des garde-foires et des gendarmes »[10]. Le vin aidant, il arrive parfois que des altercations aient lieu. Des larcins (vol à l’étalage ou autre) semblent par ailleurs relativement fréquents.

Les mets préparés dans les tavernes se différencient parfois du traditionnel menu du jour. Ce dernier, dont l’appellation nous est parvenue jusqu’à nos jours, rappelle un temps où la conservation des produits alimentaires n’était pas aisée. Avant la moitié du 19e siècle, en l’absence de compartiment réfrigérant, le menu du jour se basait le plus souvent sur des marchandises reçues le jour même.

Le réseau des foires « internationales »

Les grandes foires constituent un réseau marchand qui met en relation et de manière régulière de nombreux acheteurs et producteurs. Ils passent de l’une à l’autre (Môtiers, Fontaines, Bâle, Zurich, Strasbourg…). Afin d’alimenter la région parisienne, les éleveurs du Locle envoient leur bétail dans la capitale du royaume de France. Ainsi, en 1731, des convoyeurs conduisent plusieurs centaines de têtes de bétail à Paris[11].

Une tradition en mutation

Lieux d’échanges commerciaux et sociaux, les foires constituent, durant plusieurs siècles, un rendez-vous incontournable, rythmant la vie des habitants. Ces « grandes messes » n’ont eu de cesse de s’adapter à l’évolution de la société. À partir du 20e siècle, le développement de la mobilité, tant au niveau des personnes que des marchandises, et les nouvelles pratiques de consommation ont diminué leur importance. Néanmoins, celles-ci sont encore et toujours des moments appréciés, où consommateurs et producteurs ont souvent un échange direct.

Dans la Mère commune, le marché de printemps, qui se déroule en juin, et celui d’automne, en septembre, sont des événements particulièrement appréciés. Ils regroupent désormais essentiellement des commerçants de la Ville ou de la région. Instaurée en 2002, la « Foire du Livre », qui fait la part belle à la littérature et aux bouquins, est une référence directe à ces moments festifs et populaires.

Illustrations

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CDU, collection personnelle.

[1] RADEFF, Anne, « Foires ». In Dictionnaire historique de la Suisse, Vol. 5, Gilles Attinger, Hauterive, 2005, p. 54.

[2] RADEFF, p. 54. Il est à noter que la langue allemande distingue les grandes foires (Messen), les plus petites (Märkte ou Jahrmärkte) et les marchés hebdomadaires (Wochenmärkte).

[3] DUBOIS, Henri, « Foires ». In Dictionnaire encyclopédique du Moyen Age, Tome I, Éditions du Cerf, Paris, 1991, p. 611.

[4] HASLER, Ernest (Groupe « Histoire locloise »), Foires d’Antan, Le Locle, 1982, p. 3.

[5] HASLER, Ernest (Groupe « Histoire locloise »), Foires d’Antan, Le Locle, 1982, p. 6.

[6] ZURLAUBEN, Beat-Fidel, Tableaux de la Suisse. In GUYOT, Charly, Visages du pays de Neuchâtel, Cahier de l’institut neuchâtelois, Éditions de la Baconnière, Neuchâtel, 1973, p. 170.

[7] CALAME, p. 34. À noter que la Foire de Guibray dans les faubourgs de Falaise en France est, jusque vers la fin du 19e siècle, l’une des plus importantes manifestations de ventes équestres. L’attribution des Foires relève du droit régalien. Ainsi, le roi de France, Henri III (1551-1589), supprime la Foire de Guibray pour punir ses habitants d’avoir soutenu les Guises. Son successeur, Henri IV (1553-1610), l’a rétabli lors de son règne. Tiré de GAUBERT, Charles, La foire de Guibray à Falaise, 1913.

[8] TERRIER, p. 358.

[9] ZURLAUBEN, Beat-Fidel, Tableaux de la Suisse. In GUYOT, Charly, Visages du pays de Neuchâtel, Cahier de l’institut neuchâtelois, Éditions de la Baconnière, Neuchâtel, 1973, p. 170.

[10] HASLER, Ernest (Groupe « Histoire locloise »), Foires d’Antan, Le Locle, 1982, p. 10.

[11] L’IMPARTIAL (JUNG, Fritz), Au temps où les foires n’étaient pas de simples marchés sans bestiaux : Le Locle ravitaillait Paris, 10 mai 1967.

 

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