Développement des usines (concentration de la production)

Au 18e siècle, Jean-Jacques Rousseau écrivait : « ce qui parait incroyable, chacun réunit à lui seul toutes les professions diverses dans lesquelles se subdivise l’horlogerie, et fait tous ses outils lui-même »[1].

La seconde moitié du 19e siècle est marquée, quant à elle, par une première étape de concentration de la production et de division du travail. Les nouvelles méthodes de rationalisation de la production et la mécanisation font entrer l’horlogerie dans l’ère de l’industrialisation. Ainsi, après s’être installée dans d’anciens locaux, l’entreprise « Fabrique des Billodes » (la future Zénith) réalise, en 1881, une nouvelle construction imposante. Celle-ci s’agrandit en 1883 et 1884.

Elle est suivie, en 1891, par la société Stella; en 1896, par la Fabrique Concorde; en 1899, par celle des Médailleurs Huguenin; en 1908, par les usines Saphir des Frères Gabus et, en 1908, de Zodiac[2].

École d’horlogerie

Souhaitant se positionner sur un plan qualitatif et face aux risques de division du travail (perte de connaissances globales du métier d’horloger), des écoles d’horlogerie se créent sur l’ensemble de l’Arc jurassien.

En 1868, l’école d’horlogerie du Locle ouvre ses portes à l’Hôtel des Postes. S’il existait déjà un atelier d’horlogerie à l’Hospice du Locle, celui-ci ne procure qu’une formation sommaire. L’École d’horlogerie offre un cursus général sur trois ans par le biais de professionnelles. Malgré la pression des milieux économiques pour réduire la durée de la formation, en limitant cette dernière à des spécialisations, ou pour intégrer dans le cursus les progrès techniques, dont la mécanisation, l’école d’horlogerie se développe[3].

Jules Grossmann (1929-1907) en devient le premier directeur. Il s’intéresse à la théorie générale de la montre et des appareils chronométriques. Il rédige un ouvrage conséquent : « Horlogerie théorique : cours de mécanique appliquée à la chronométrie » (dont les formules sont toujours d’actualité). Grossmann est à l’origine du perfectionnement du tourbillon et de la création du bureau d’observation, institut permettant à une montre d’être qualifiée de chronomètre.

En 1875, succédant à Auguste Jeanneret Virchaux, Charles-Emile Tissot, fondateur de la société Tissot, devient président du comité de l’École d’horlogerie. Il occupe ce poste jusqu’en 1889[4]. Il contribue à créer la section mécanique. L’École est transférée par la suite dans les locaux du collège Daniel Jeanrichard. L’Atelier d’horlogerie de l’Hospice du Locle, dont il fut président, est par la suite supprimé.

L’École d’horlogerie occupera parallèlement différents locaux dans la Mère commune, dont Envers 46 et au Technicum.

Industrialisation

À partir de 1870, la mutation du système d’organisation est enclenchée. Elle est une réaction indirecte à la concurrence américaine et la crise économique mondiale[5]. L’heure est à la mécanisation et à la concentration des travailleurs. La productivité va considérablement augmenter, parallèlement à la paupérisation d’un certain nombre de travailleurs.

Un exemple : la Société Zénith

En 1865, Georges Favre-Jacot (1843-1917) fonde la manufacture horlogère « Fabrique des Billodes ». Son projet consiste à réunir dans un volume conséquent l’ensemble des métiers qui font une montre. Il privilégie une rationalisation de la production à l’exemple des États-Unis d’Amérique[6]. En 1905, l’entreprise comprend environ 600 employés, répartis sur une vingtaine de bâtiments[7].

Loin des grandes zones industrielles en périphérie des centres urbains qui caractériseront la deuxième partie du XXe siècle, ces fabriques font partie intégrante de l’urbanisation de la Ville et d’autres collectivités. Plusieurs bâtiments sortent de terre. Sur le plan international, entre 1908 à 1914, la société ouvre des succursales à Moscou, Paris, Vienne et Londres[8]. La société Zénith occupe alors une part prépondérante du marché de la montre bracelet.

Durant la Première Guerre mondiale, la Société participe également à l’effort de guerre des alliées en produisant des munitions et autres projectiles[9].  

Georges Favre-Jacot se fait construire, par l’architecte Charles-Edouard Jeanneret (1887-1965), le futur Corbusier, originaire de la Sagne et du Locle et né à La Chaux-de-Fonds, une maison qui domine les différents bâtiments de sa société.

Alors que dans les années vingt, Zénith bat tous les records en terme de concours de chronométrie, différents projets d’habitation sont créés, dont ceux de la Molière. Les œuvres sociales de la Société affluent. Ainsi, le home réfectoire Zénith ouvre ses portes dans l’actuelle bâtiment de l’Hôtel de Ville 3. Malgré ces bonnes œuvres, les conflits syndicaux éclatent dans les années trente. 

Fonderie Zénith

En 1918, la Fonderie Zénith voit le jour, afin d’assurer l’approvisionnement des usines en machine. Celle-ci se situe sur la route menant au Col-des-Roches (plus précisément au numéro 14). La fonte arrive par train d’Hollande et d’Allemagne. Les conditions de travail sont difficiles (chaleur suffocante, bruit assourdissant, émanation de gaz et poussière de bentonite, accidents de travail…). La main d’œuvres est principalement étrangères. Chauffés au charbon, de hauts fours voient passer quotidiennement 9 à 10 tonnes de fonte à des températures avoisinant les 1400 degrés. La fonte est alors déversée sur des moules composés de sable et de liant, apposés sur du bois[10].

En 1969, la Fonderie est modernisée. Le bâtiment s’agrandi. Limitant les accidents, la trentaine d’employés peut se targuer de bénéficier de gants et de guêtres d’amiante ![11]  

Les clients de la fonderie sont principalement issus du secteur machine-outil, dont notamment Dixi, Voumard, Schaublin, Aciera, Tornos ou Emissa.

En 1974, la Fonderie Zénith ne résiste pas à la conjoncture mondiale et à la nouvelle politique de l’entreprise en main américaine (Zénith Radio Co). Elle est rachetée par la société de mécanique Pizzi sous le nom de « Fonderie locloise SA ». La société bénéficie du savoir-faire de maître fondeur de Loraine, M. Reyt[12]. Néanmoins, la situation économique reste problématique et des pourparlers sont menés avec l’État pour assurer la pérennité de l’entreprise. En 1975, la société cesse finalement ses activités.

Reprise par la Société Technoglas, spécialisée dans la fabrication de pare-brise, le bâtiment, dernier vestige de la fonderie, est finalement racheté par la Confédération, afin de procéder à sa démolition, en 2023, dans le cadre du projet de contournement N20 de la Ville du Locle.  

Du Capital industriel au Capital financier

Le début du 20e siècle est ainsi marqué par un capital familial et industriel. Toutefois, la prise de participation du capital bancaire va progressivement se mettre en place. Ainsi, en 1911, l’entreprise, fondée par Favre-Jacot, devient une société anonyme sous la raison sociale « Zénith »[13]. Dans les faits, elle voit une prise de participation, bien que minoritaire, de la Banque cantonale neuchâteloise dans la société. Reste que de manière générale, au 19e siècle et jusqu’au début du 20e siècle, le capital financier n’est pas la règle. Malgré l’entrée des banques dans le capital de certaines entreprises, les sociétés restent majoritairement en main des familles.

Il faut attendre la seconde moitié du 20e siècle pour que la financiarisation du système touche ces groupes familiaux. Ainsi, à partir des années septante, le groupe Zénith est racheté par des américains. En 1999, le groupe français LVMH acquiert la Société Zénith.

Industrialisation et prolétarisation

L’industrialisation génère une phase de prolétarisation, ayant un impact social conséquent sur la population.

Les conflits sociaux sont fréquents et les travailleurs de l’horlogerie sont, à la fin du 19e et au début du 20e siècle, pour la plupart proches du socialisme révolutionnaire. Il faut attendre les années 1930 et en particulier 1934 pour voir la Fédération suisse des ouvriers sur métaux et horlogers (FOMH) renoncer « à la référence marxiste à la lutte des classes »[14]. La Confédération joue les arbitres sur les conflits salariaux entre le patronat et les salariés. En 1937, la « paix du travail » est instaurée.

Des liens pour aller plus loin

Il est à noter que la frise chronologique de la Fondation de la Haute horlogerie est particulièrement intéressante. Le travail de Grégory Gardinetti et de son équipe est salué. En effet, cette frise retrace tant l’histoire de l’horlogerie que des horlogers : https://www.hautehorlogerie.org/fr/encyclopedie/

Illustration

Carte postale, Billodes, Le Locle, tirée du Musée d’histoire de La Chaux-de-Fonds.

Illustrations tirées de l’Impartial.

Notes

[1] TERRIER, p. XX tiré ROUSSEAU, Jean-Jacques, Lettre à d’Alembert,

[2] DAUMAS, Jean-Claude, Les systèmes productifs dans l’arc jurassien: acteurs, pratiques et territoire, Presses universitaires de Franche-Comté, Besançon, 2004, p. 77.

[3] DONZE, Pierre-Yves, Histoire de l’industrie horlogère suisse : De Jacques David à Nicolas Hayek (1850-2000), Éditions Alphil – Presses universitaires suisses, Neuchâtel, 2009, p. 28.

[4] FALLET, Estelle, Tissot : 150 ans d’histoire 1853 – 2003, production Olivier Attinger, Le Locle, 2003, p. 32.

[5] DONZE, Pierre-Yves, Histoire de l’industrie horlogère suisse : De Jacques David à Nicolas Hayek (1850-2000), Éditions Alphil – Presses universitaires suisses, Neuchâtel, 2009, p. 39.

[6] DONZE, Pierre-Yves, Histoire de l’industrie horlogère suisse : De Jacques David à Nicolas Hayek (1850-2000), Éditions Alphil – Presses universitaires suisses, Neuchâtel, 2009, p. 52.

[7] BARRELET, Jean-Marc, « Georges(-Émile) Favre-Bulle, horloger, industriel, entrepreneur (1843-1917) ». In SCHLUP, Michel (dir.), Biographie neuchâteloises. De la Révolution au cap du XXe siècle, Tome 3, Attinger, Hauterive, 2001, p. 110.

[8] BOILLAT, Johann, Les véritables maîtres du temps : le cartel horloger suisse (1919-1941), Éditions Alphil – Presses universitaires suisses, Neuchâtel, 2013, p. 648.

[9] IMPARTIAL, « Quand Zénith fabriquait des fusées », 11 octobre 1911.

[10] IMPARTIAL, Le long voyage de la fonte, 12 mai 1967. 

[11] IMPARTIAL, Gants et guêtres d’amiante pour les employés de la « cuisine du diable », 20 août 1970.

[12] IMPARTIAL, Fonderie locloise SA : les creusets rougeoient », 9 février 1975.

[13] BOILLAT, Johann, Les véritables maîtres du temps : le cartel horloger suisse (1919-1941), Éditions Alphil – Presses universitaires suisses, Neuchâtel, 2013, p. 648.

[14] DONZE, Pierre-Yves, Histoire de l’industrie horlogère suisse : De Jacques David à Nicolas Hayek (1850-2000), Éditions Alphil – Presses universitaires suisses, Neuchâtel, 2009, p. 131.

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