Tour Brenets

Réunion avec les Brenets

En 2016, les autorités des Brenets s’approchent de celles de la Mère commune. En effet, la petite commune des rives du Doubs peine à constituer ses autorités, sujettes de surcroît et dans un passé récent, à des référendums (par ailleurs parfois gagnés par ces dernières). Les autorités s’engagent alors dans un processus de rapprochement.

Sensibles au principe de démocratie de proximité, aux respects des prérogatives territoriales et au dynamisme de la vie locale, les autorités de la Ville du Locle se sont régulièrement refusés aux velléités d’absorption d’éventuelles communes avoisinantes. Néanmoins, la demande émanant des autorités brenassières et au vu de leur situation, tant au niveau fiscal que financier, Le Locle y répond favorablement.

Différents processus de consultation sont lancés. Une commission législative est mise en place. Le 28 juin 2020, les populations des Brenets et du Locle acceptent, en votation populaire, la réunion de leurs deux communes, sous le nom de « Le Locle ». Les Brenets conservent leur nom, sous « Les Brenets (commune du Locle). Petit film Mère commune.

Brève histoire des Brenets

La colonisation de la région semble débuter vers 1300. Selon Pierre Deléglise, trois éléments confèrent une certaine attractivité au lieu. Tout d’abord, l’eau potable, essentielle à la vie; la forêt, nécessaire au chauffage, et enfin la rivière, favorisant les échanges, la pêche et le développement de moulins. Tout comme Le Locle, l’eau joue donc un rôle fondamental pour les Brenets. Ses habitants n’auront d’ailleurs de cesse de vouloir la maîtriser. Si, de par sa topographie, le village est moins enclin aux inondations que la Mère commune, la gestion de l’eau est néanmoins nécessaire pour assurer la subsistance de ses habitants, mais aussi pour lutter, par exemple, contre les incendies particulièrement dévastateurs.

Le village des Brenets doit son nom à une famille Brenth, dont des représentants sont localisés au Locle et en France voisine. Cette famille tire, elle-même, son origine de « brennen », qui signifie « brûler », méthode usuelle de défrichement des forêts. D’ailleurs, la région et ses habitants étaient mentionnés, dans les actes médiévaux, comme la « communauté des Brunettes joux »[1].

C’est au 14e siècle que se consolide le territoire des Brenets.

En 1372, Jean II d’Aarberg accorde à ces habitants des franchises. Il ordonne également le développement de voies de communication. En 1378, la construction d’un chemin de Boudevilliers, par La Chaux-de-Fonds et Le Locle, jusqu’au village est entreprise. La route passe alors par les Malespierres, redescend sur la Combe Monterban, et continue en direction des Frêtes (la Moive).

En 1380, Jean III d’Aarberg délimite les frontières des Brenets.

Des Guerres de Bourgognes (1474-1477) au prieuré de Morteau

Conflits majeurs du 15e siècle, les Guerres de Bourgognes ont connu un épisode brenassier. Tiraillés entre les revendications des ducs de Bourgogne, du prieuré de Morteau et des seigneurs de Valangin, les Brenets subissent le passage de l’armée de Charles le Téméraire (1433-1477). Cette dernière avait tué deux paysans au Locle pour s’approprier le « bétail de toute la vallée »[2].  Afin d’arrêter les hommes du Duché, des Loclois et Sagnards détruisirent les ponts sur les rives du Doubs. Pris au piège, les Bourguignons sont tués.

L’intégration du village des Brenets à la Seigneurie de Valangin était néanmoins loin d’être acquise. Les ambitions des prieurs de Morteau générèrent de nombreux débarquements sur les rives des Brenets, suivis d’altercations en son centre. Ce n’est qu’en 1524 que prit fin le litige. Les Brenets sont alors « définitivement » rattachés aux comtes de Valangin[3], Claude d’Aarberg ayant par ailleurs fait ériger, dès 1511, une église paroissiale. Cet édifice fut l’un des hauts lieux de la vie de la communauté. De plus, le cimetière se trouvait à proximité. Toutefois, avec l’arrivée du choléra, celui-ci fut déplacé en 1832, par ordre du Conseil d’État, en raison de sa petite taille et de sa proximité au village[4]. L’Église sera également la proie des flammes lors de l’incendie de 1848, puis à nouveau en 1911. En 1914, reconstruit, le bâtiment deviendra le siège des autorités communales, les cultes se donnant au nouveau Temple datant de 1855. 

La présence d’un maire est signalée dès 1519, mais « c’est par un acte du 16 juillet 1539 que la mairie des Brenets fut détachée de celle du Locle »[5].

Malgré le Doubs, la frontière reste plus que perméable.

Entre 1639 et 1644, les Brenets sont aussi traversés par les armées « suédoises » durant la Guerre de Trente Ans (1618-1648). En effet, l’arrivée du duc Bernard de Saxe-Weimar (1604-1639), dont la réputation d’« impitoyable sauvage » terrorisait toutes les contrées, provoqua un flot de réfugiés sur le territoire brenassier et dans les Montagnes. À plusieurs reprises, les « Suédois » pourchassèrent les réfugiés qui voulaient en découdre et en profitèrent pour piller et incendier les villages. Des établissements des Brenets furent, à plusieurs reprises, la proie des flammes. Cette perméabilité de la frontière caractérisa également les siècles suivants. Les deux grands conflits mondiaux du 20e siècle provoquèrent là aussi l’arrivée de réfugiés notamment de soldats, belges, allemands et français sur le territoire brenassier et du Locle. 

En 1702, constituées en paroisse, Les Planchettes quittent le giron des Brenets.

Le Doubs

Patrimoine naturel exceptionnel et structurant, le Doubs constitue une frontière naturelle, bien que perméable, entre les Brenets (Suisse) et Villers-Le-Lac (France). Celui-ci marque profondément l’histoire de la localité, tant au niveau social qu’économique. Il fait l’objet de nombreuses descriptions par les visiteurs à la renommée parfois mondiale.

Au tournant des années 1770, le célèbre philosophe Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) se rend avec l’un de ses plus fervents admirateurs François-Louis d’Escherny (1733-1815) aux Brenets. Il s’y rend « par La Tourne, La Sagne et Le Locle. Il est impressionné par le Saut du Doubs et par les falaises plantées de sapins qui surplombent la rivière ». Ces falaises le font penser à des rangées de bastions, c’est-à-dire à des fortifications et remparts[6].

L’écrivain Xavier Marmier (1808-1892), membre de l’Académie française, fait une description remarquable du Doubs. « Le Doubs est une des plus charmantes rivières qui existent […] tantôt paisibles et riantes comme un ruisseau de bergerie, tantôt fier et large comme un grand fleuve, ou impétueux comme un torrent »[7].

Le Doubs contribue également à l’essor économique des Brenets, par ses moulins notamment, mais aussi par une multitude de petites activités en lien avec la navigation. Il était ainsi fréquent de voir des bateliers racoler les badauds et autres passants.

Marmier est aussi étonné des relations entre les habitants des deux pays. « Chaque année, les habitants de ses deux rives, suisses et français, se réunissent […] On arrive là sur des barques portant le drapeau des deux nations et avec des choeurs de musiciens […] C’est une belle fête populaire, une fête pleine de joyeuses chansons qui rassemble, en dehors de tous les traités de diplomatie, deux populations étrangères, mais ralliées l’une à l’autre par le même sentiment de la beauté poétique »[8].

Les fêtes du Doubs semblent tirer leurs origines des « visites » – loin d’être cordiales – du prieuré de Morteau aux Brenets. Progressivement, les querelles qui semblaient caractériser les relations entre les Brenets, Villers et Morteau s’atténuèrent. Les visites furent maintenues, mais avec des fins nettement plus pacifiques et conviviales. Après plus de 500 ans d’existence – il est vrai, de manière discontinue -, les fêtes du Doubs ont toujours lieu régulièrement entre Villers-Le-Lac et Les Brenets.

Il est à noter que le niveau des eaux du Doubs et du lac des Brenets en particulier se caractérise par des fluctuations particulièrement importantes et rapides. De manière non exhaustive, nous pouvons signaler des sécheresses récurrentes, telles qu’en 1811, 1870, 1893, 1898, 1906, 1947, 1952, 1959, 1962, 1964, 1976, 1985 ou encore celles de 2018, 2022 et 2023. À l’inverse, il suffit de quelques heures pour voir le niveau du Doubs augmenter considérablement. Les inondations étaient fréquentes, notamment au 19e siècle (1801, 1845, 1882) et au début du 20e siècle (1910, 1919 ou 1990 par exemple).

Aux Brenets, on fait dans la dentelle

Comme pour la Mère commune, la dentelle constitue un secteur économique important. Ainsi, aux Brenets, « en 1776, cette industrie avait occupé jusqu’à 150 faiseuses de dentelles au coussin et 26 fabricantes de bas de soie »[9]. Un recensement effectué en 1750 montre néanmoins la présence de bien d’autres professions. Ainsi, on dénombre par exemple cinq notaires, deux médecins, sept horlogers, mais aussi des armuriers, des tailleurs de pierre, des bateliers, des maréchaux, des cordiers et autres menuisiers ou peintres[10].

Le territoire brenassier accueille, en visite, nombre de personnages illustres, tels que le philosophe Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) ou Joséphine de Beauharnais (1763-1814). Séjournant au Locle, l’ancienne impératrice des français et première épouse de Napoléon Bonaparte (1769-1821) est de passage aux Brenets en 1810. Le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume III (1770-1840), visite quant à lui le village en 1814. Son fils, Frédéric-Guillaume IV, s’y rend à deux reprises, notamment en tant que roi en 1842.  

1848 : Révolution et incendie

En 1831, deux tentatives de soulèvement et d’instauration d’une république avortent dans la principauté prussienne de Neuchâtel. Celles-ci accentuent alors les tensions entre royalistes et républicains. Les Brenets ne font pas exception. L’historien François Faessler relate l’intervention en 1833 de jeunes gens du Locle accompagnés d’un corps de musique. Arrivant aux Brenets, ils chantèrent des chants révolutionnaires, dont notamment « La Parisienne » de Casimir de la Vigne (1793-1843)). Dénoncés, les jeunes gens furent condamnés à trois jours d’emprisonnement[11]. Dans les années qui suivirent, la sympathie pour la République se renforce.

La Révolution parisienne de février 1848 allait faire « effet domino » en Europe et par là même dans la petite principauté de Neuchâtel.

Le 29 février 1848, la Révolution neuchâteloise éclate au Locle. La gendarmerie prussienne neutralisée, la République est proclamée dans la Mère commune. Aussitôt des émissaires partent à cheval à La Chaux-de-Fonds, au Val-de-Travers et aux Brenets annoncer le début du soulèvement. Le 1er Mars, le Château de Neuchâtel est pris; le Conseil d’État est arrêté; la République est proclamée sur l’ensemble du territoire cantonal.

L’année 1848 allait néanmoins se révéler particulièrement dramatique pour la localité des Brenets. Le 19 septembre 1848, un incendie ravage le village. Débuté en bas de ce dernier, le feu s’étend sur une bonne partie de la localité. 23 blocs de maisons sont détruits, 89 familles se retrouvent sans foyer[12]. Nombreux sont les démunis, obligés pour certains à partir pour d’autres contrées.

Rapidement, tout est mis en oeuvre pour permettre la reconstruction de la localité. Celle-ci se fera sur la base d’un plan en damier, caractéristique de La Ville de La Chaux-de-Fonds et du quartier néo-classique du Locle. Une belle fontaine sur la place du village des Brenets rappelle l’incendie de 1848.

Guinand : Plus près des étoiles

La famille Guinand compte de nombreux représentants aux Brenets, occupant par là même différentes fonctions et des postes de magistrats. Ainsi, Daniel Guinand (1602-1673) fut maire durant 34 ans. Sa pierre tombale se trouve encore dans le nouveau Temple[13].

Pierre-Louis Guinand (1748-1824), quant à lui, est sans doute l’un des plus illustres brenassiers. Né dans la Vallée de la Sagne, ébéniste de formation, Guinand s’installe en 1780 aux Brenets. Il pratique différentes professions en lien avec l’horlogerie (confection de boîtes de montres, de timbres pour les sonneries, etc.). Néanmoins, mal voyant, il se consacre progressivement à la confection de ses propres lunettes.

Chez l’horloger Pierre Jaquet-Droz (1721-1790), l’attention de Guinand est attirée par une lunette astronomique. Celui-ci obtient l’autorisation de la dupliquer. Autodidacte et empiriste, il parvient à produire un verre d’une qualité qui surpasse tout ce qui se faisait à l’époque, notamment les produits anglais. Grâce à une baguette réfractaire (« Le Guinand »), le verre fondu est brassé, bénéficiant d’une qualité supérieure. Ce dernier est alors poli et monté sur des longues-vues. Sa découverte se répand rapidement à l’étranger. Guinand dit « l’Opticien » se rend en Bavière enseigner son art et collaborer à la production de verres pour lunettes. Ils contribuent à faire avancer la science dans plusieurs domaines. 

La ligne de chemin de fer : Le « Régional »

Au bénéfice d’une concession accordée en 1853, qui devait être un segment de la ligne Paris – Berne, la Compagnie du Chemin de fer Régional des Brenets est créée en 1888.

En 1890, la ligne ferroviaire Le Locle – Les Brenets est inaugurée. Elle est desservie par trois locomotives « Le Doubs », « Les Brenets » et « Le Père Frédéric ». Cette dernière est encore exposée à proximité de la gare.

En 1950, l’électrification de la ligne est réalisée.

Le manque d’investissements récurrents sur la ligne, de surcroît en voie métrique, et un taux de couverture peu important[14] rend, après plus de 130 ans d’existence, son maintien en l’état plus que problématique. Après avoir envisagé sa réhabilitation ou la prolongation des trains de La Chaux-de-Fonds-Le Locle jusqu’aux Brenets, l’État privilégie la suppression de la ligne ferroviaire. En contrepartie, un projet de bus électrique est envisagé aux environs de 2025. Avec un cadencement à la demi-heure, celui-ci doit permettre également de desservir, désormais sans rupture de charges (transbordement train/bus), la gare du Locle au bas du village des Brenets. 

L’horlogerie

À partir du 19e, l’économie des Brenets se tourne progressivement, à l’instar de celle de la Mère commune, vers l’industrie et en particulier l’horlogerie. Ainsi, nombre d’entreprises fleurissent. Parmi les plus importantes, citons par exemple l’usine de Pierre Seitz, fondée en 1927, qui fabriquait des « pierres d’horlogerie, des potences de rhabillage et des outils d’horlogerie »[15]. Rachetée par la Société de microélectronique et d’horlogerie (SMH), elle deviendra l’entreprise Comadur. La Société horlogère G. Petitjean SA, dont le fondateur Gilbert Petitjean débuta modestement en 1972, spécialisée notamment dans les boîtiers et bracelets, occupa, quant à elle, plusieurs centaines d’employés.

Démographie

En matière démographique, le village des Brenets comptait « 31 feux en 1531, 846 hab. en 1750, 1172 en 1850, 1547 en 1860, 1420 en 1900, 1381 en 1950, 1164 en 2000 »[16] et 1048 en 2017.

Spécificité du territoire de la commune du Locle

La nouvelle commune conserve deux centres urbains, soit Le Locle et Les Brenets. Ceux-ci ont des densités légèrement différentes, réciproquement de 441 hab/km2 pour la première et de 91 hab/km2 pour la seconde (statistique 2009).

La superficie de la commune du Locle s’agrandit de 11.5 km2 pour se porter à 34.7 km2.

L’altitude de la commune se situe entre 715 m (rivière du Doubs) à 1’312 m (à proximité de Sommartel). Les zones urbaines sont comprises, pour Le Locle, entre 920 m au centre-ville à environ 1’020 m au Communal et 1’050 m sur les Monts. Le centre des Brenets se trouve à 830 m, mais l’ensemble du périmètre urbain va de 760 m en son point le plus bas à 945 m en haut de la rue des Champs-Ethévenots.

[1] DELEGLISE, Pierre, KEISER, Michèle et GOBAT, Michel, Histoire des Brenets de 1300 à 1998, Gasser SA, Le Locle, 1999, p. 5.

[2] FAESSLER, François, Histoire de la Ville du Locle : des origines à la fin du XIXe siècle, Édition de la Baconnière, Neuchâtel, 1960, p.24.

[3] JUNG, Fritz, Le Doubs dans l’histoire des Brenets, Le Locle, 1945, p. 7.

[4] FAVRE, David & Co, « Les Brenets et sa vieille Église : « 500 ans d’une Histoire Commune », 2011, Le Locle, p. 42.

[5] MÜLLER, Christine: « Brenets, Les », in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 11.08.2021. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/002840/2021-08-11.

[6] TERRIER, Philippe, Le pays de Neuchâtel vu par les écrivains de l’extérieur : du XVIIIe à l’aube du XXIe siècle, Attinger, Hauterive, 2017, p. 121.

[7] Ibid, p. 231.

[8] Ibid, p. 231.

[9] IMPARTIAL (BLN), Les Brenets histoire locale : quand la dentelle prospérait, 15 février 1999.

[10] DELEGLISE, Pierre, KEISER, Michèle et GOBAT, Michel, Histoire des Brenets de 1300 à 1998, Gasser SA, Le Locle, 1999, p. 7.

[11] FAESSLER, François, Les Brenets dans l’histoire, Glauser-Oderbolz, Le Locle, 1946, pp. 15-16.

[12] DELEGLISE, Pierre, KEISER, Michèle et GOBAT, Michel, Histoire des Brenets de 1300 à 1998, Gasser SA, Le Locle, 1999, p. 21.

[13] DELEGLISE, Pierre, p. 6.

[14] Selon les critères fédéraux, un taux de couverture des coûts d’exploitation de la ligne par les usagers inférieurs à 30% nécessite le lancement d’études en cas d’investissements conséquents. Celui des Brenets se monte à environ 27%. 

[15] DELEGLISE, Pierre, KEISER, Michèle et GOBAT, Michel, Histoire des Brenets de 1300 à 1998, Gasser SA, Le Locle, 1999, p. 41.

[16] MÜLLER, Christine, « Les Brenets », in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 14.10.2004. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/002840/2004-10-14/.