Rousseau

Et si la propriété était à l’origine de l’inégalité parmi les hommes ? Et si la société avait finalement corrompu les hommes ? Rousseau nous invite à une refonte de notre contrat social : un contrat social permettant le rétablissement de la liberté et de la justice.

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) : citoyen de la République de Genève, Rousseau commence un apprentissage de graveur, avant de s’enfuir. Sa rencontre avec Diderot est déterminante. Se sentant à tort ou à raison persécuté et se fâchant avec nombres de penseurs de l’époque (David Hume, Voltaire,…), le philosophe arpentera maintes régions d’Europe. Son influence sera considérable et les révolutionnaires français se réclameront de sa pensée. Les cendres de Rousseau seront transférées, en 1791, au Panthéon.     

Rousseau pose l’hypothèse méthodologique de l’Homme originel ou « primitif » vivant dans un état naturel. Cette hypothèse théorique ou de travail lui permet d’exposer une généalogie de l’origine de l’inégalité parmi les hommes : la propriété, le développement de la société et la civilisation va corrompre l’homme le conduisant à la servitude et, pour une bonne part de ses congénères, à la pauvreté.  

Origine et fondements de l’inégalité parmi les hommes

Tout d’abord, l’Homme « primitif » ou « sauvage » vit dans un état naturel. Il est libre, oisif et l’égal de ses pairs. Il bénéficie de l’amour de soi, c’est-à-dire du souci de sa propre conservation et indépendant d’un quelconque égoïsme, ainsi que de la pitié vis-à-vis de ses prochains. L’homme primitif, bien que solitaire, est un être social.

Puis se forme une société « primitive », qui n’est pour l’heure pas encore constituée d’institutions. Progressivement, d’une existence simple, autosuffisante, naturelle et sociale, l’homme se sédentarise. Il renforce ses liens sociaux et perfectibles, développe cette société.

Ensuite, l’Homme développe de nouveaux moyens de production, telle que l’agriculture ou la métallurgie. Il s’ensuit une division du travail, puis la propriété. La propriété est source de toutes inégalités : « le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la vie civile ». Et de poursuivre : « Que de crimes, que de guerres, de meurtres » ont été commis au nom de la propriété. Comme le disait Rousseau : « vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne ».

De la propriété naîtront l’injustice et l’inégalité : la pauvreté et l’esclavage. La société et la propriété dégradent la nature humaine. L’amour propre voit le jour, cet amour égoïste et intéressé. Des lois se mettront alors en place pour garantir la dominance des puissants, enlisés dans leur amour propre : « Il faut de la poudre à nos perruques. Voilà pourquoi tant de pauvres n’ont pas de pain ». Les riches vont créent un contrat social pour assurer leur protection, la conservation et l’accumulation de leurs richesses. Ce contrat social consiste en un pacte entre le peuple et un souverain, c’est-à-dire des magistrats les représentant. Le peuple abandonne donc sa liberté au profit d’un souverain extérieur.     

De par ce constat de l’origine de l’inégalité parmi les hommes, Rousseau va exposer deux remèdes susceptibles de pallier cette situation : le Contrat social et l’éducation des enfants par une pédagogie naturelle.  

Du contrat social

Du contrat social veut restaurer la liberté et l’égalité perdues depuis l’établissement de la société. Une liberté différente de celle de l’Homme « sauvage », mais une liberté tout de même.

Rousseau part du constat que « l’homme est né libre, mais partout il vit dans les fers ». Il veut établir un véritable Contrat social. Celui-ci ne consiste nullement à donner le pouvoir à un nombre restreint d’individus ni à renoncer à sa liberté (Hobbes et son Léviathan). Le Contrat social de Rousseau consiste pour « chacun de nous à mettre en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ». L’Homme renonce donc à une partie de sa liberté, de sa volonté individuelle et particulière, pour l’inscrire dans une volonté bien plus grande : la volonté générale. 

La volonté générale se distingue de la somme des volontés particulières dans le sens où ses dernières s’attèlent à défendre ses propres intérêts. Il y a volonté générale lorsqu’il y a association – et non agrégation – de l’ensemble des volontés. Chacun renonce à ses intérêts particuliers et individuels pour tendre vers un seul et même but : l’intérêt général. Ainsi, faisant partie d’un tout, d’un collectif, je dois tendre vers l’intérêt général, quand bien même cet intérêt général va à l’encore de mon intérêt personnel. Ainsi, la Société peut m’obliger à être libre, et ce par la loi et son application.

Pour Rousseau, la démocratie directe, sans représentation, doit être la norme. Pour ce faire, seuls les États de petite dimension peuvent répondre à cette exigence et viser la liberté et l’égalité. Seules les Républiques peuvent tendre vers l’intérêt général. Le gouvernement quant à lui exécute ce que le souverain, c’est-à-dire le peuple, a décidé par le biais de l’élaboration de lois.  

Rousseau a mis au centre de sa philosophie politique le peuple en tant que souverain : des lois faites par et pour le peuple.

Nota bene

La notion de contrat ou de pacte social est utilisée par les philosophes et ce dès le 16e siècle. Il a pour but d’expliquer le passage de l’état de nature à celui de société. Toutefois, ces pactes ou contrats revêtent des contenus différents. Parmi les plus connus, nous pouvons citer :

Thomas Hobbes (1588-1679) : l’État de nature est un état de guerre permanent : « l’homme est un loup pour l’homme ». Dès lors, le pacte social doit garantir l’ordre et la sécurité. Les hommes se mettent d’accord avec d’autres hommes pour abandonner leur liberté originelle au profit d’un tiers extérieur au peuple : l’État ou le Léviathan.

John Locke (1632-1704) : La liberté et la propriété privée, constituant un droit naturel, prévalaient dans l’état de nature. Toutefois, ce dernier n’était pas suffisamment stable, un pacte social a dû être élaboré pour garantir ces libertés et propriétés. Par consentement libre et mutuel, les Hommes s’organisent dans un système majoritaire où la séparation des pouvoirs (représentants) prévaut. En cas d’abus ou de dérives, la population peut alors renverser le pouvoir et ses institutions.  

Tout comme Hobbes, Rousseau considère que l’Homme doit renoncer à ses « droits naturels », notamment celui du plus fort. Toutefois, en abandonnant une partie de sa liberté, l’Homme en acquiert une bien plus importante : la liberté dans le cadre de loi qu’il s’est lui-même prescrite.