UNESCO : Inscription des Villes du Locle et de La Chaux-de-Fonds (urbanisme horloger)

Le 27 juin 2009, l’urbanisme horloger des villes du Locle et de La Chaux-de-Fonds est reconnu au Patrimoine mondial de l’UNESCO. De belles et grandes manifestations se déroulent au sein de la Mère commune et de la Métropole horlogère. Le 30 juin, la Convention est signée à Séville.

Par leur urbanisme exceptionnel, les deux Villes des Montagnes neuchâteloises témoignent de tout un pan de l’histoire industrielle mondiale, reconnue au Patrimoine mondial de l’UNESCO. L’activité horlogère et son évolution est intimement liée aux différents lieux d’habitation, dans un tout rationnel et fonctionnel. La dimension sociale est au coeur de leur conception, leur plan en damier se voulant par ailleurs égalitaire. 

L’UNESCO

L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) voit le jour en 1945, au lendemain de la fin de la Seconde Guerre mondiale.

La préservation des lieux et biens possédant une valeur universelle extraordinaire constitue l’un des domaines d’action de l’UNESCO. En 1972, une Convention pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, qui est de la responsabilité de tout un chacun est ainsi adoptée.

L’UNESCO en Suisse

En Suisse, 10 objets sont inscrits à l’UNESCO, soit :

7 biens culturels :

et 3 biens naturels :

De plus, sur le territoire neuchâtelois, le Laténium fait partie des sites palafittes préhistoriques également inscrits au Patrimoine mondial.

Valeur universelle du site de l’urbanisme horloger des Villes du Locle et de La Chaux-de-Fonds

L’urbanisme des Villes du Locle et de La Chaux-de-Fonds constitue un témoignage exceptionnel « d’ensembles urbains organiques entièrement dédiés à une mono-industrie » [1] : l’horlogerie.

Les deux villes sont organisées comme des manufactures, où s’entremêlent lieux de fabrication et lieux de vie. Le philosophe allemand, Karl Marx, écrivait d’ailleurs qu’à l’instar du Locle, « La Chaux-de-Fonds peut être considérée comme formant une seule manufacture horlogère » [2]. En effet, les ateliers de production côtoient le domicile des habitants, au point de ne faire qu’un. L’urbanisme s’est développé en lien avec les besoins sociaux et techniques des différentes époques. La planification y est raisonnée, pragmatique et ouverte au monde. Par ailleurs, il ne faut pas croire que les deux villes soient dépourvues de nature. Bien au contraire ! Ce qui frappe, c’est l’écrin de verdure qui entoure chacune des deux cités. La délimitation du bâti y est stricte, offrant aux citadins une perspective visuelle aux qualités paysagères indéniables : forêts, prés et pâturage. La Ville du Locle y est, elle-même, entrecoupée de coteau boisés sur chacun de ses flancs.

Au même titre que la production ou l’outillage, tous les deux légers et facilement transportables, les idées progressistes se répandent et trouvent un accueil favorable dans les deux Villes des Montagnes. 

Un plan d’urbanisme rationnel, fonctionnel et utopique

Élaboré en 1833 après l’incendie qui ravagea la Ville du Locle, le plan d’urbanisme se veut rationnel, fonctionnel, orthogonal et utopique. Ce plan égalitaire, avec ses rues perpendiculaires, facilite les déplacements, la gestion des flux et la lisibilité de l’ensemble. Les rues sont droites et larges, permettant de repousser, durant la période hivernale, l’abondance de neige sur les côtés. Tout au long de l’année, les coursiers, au 19ème siècle, pouvaient ainsi aisément faire le tour des établis pour récupérer leur production.

Une mixité : l’Habitat-travail

L’urbanisme horloger se caractérise par une forte corrélation entre l’habitat et le travail. Ainsi, des établis de production se trouvaient au sein même des logements. Puis, ces espaces étaient contigus aux ateliers. A partir de la deuxième moitié du 19ème siècle, les fabriques, résultant de la concentration de la production, cohabitent, elles aussi, « harmonieusement aux immeubles d’habitations » [3].

Cette mixité se retrouve également sur le plan social. L’absence de clivage entre les quartiers populaires et ceux des classes sociales plus aisées est caractéristique de la Ville. Rousseau dira : « Très égalitaires et volontiers un peu frondeurs, ils [les ouvriers des Montagnes] formaient un milieu des plus favorables aux doctrines répandues [des Lumières]» [4].

Une typologie du bâti spécifique et fonctionnelle

Les habitations sont caractéristiques de celles des Montagnes neuchâteloises, tout en intégrant le rôle fonctionnel nécessaire à une cité tournée tout entière à la production.

Toiture et “galetas”

Les habitations sont composées de toiture à deux pans et de croupes. Dans les combles se trouvent des galetas. Ces espaces fonctionnels étaient utilisés par les habitants pour y pendre leur linge, y déposer leur surplus ou pour bricoler. Au 21ème siècle, ceux-ci sont progressivement isolés et aménagés en appartement. 

Lumière

La lumière et par là même l’éclairage naturel joue un rôle fondamental dans l’élaboration d’un produit aussi petit que les montres. Evitant les cours intérieures, qui limitent la luminosité, des structures urbaines dites « en barre », souvent étroites, sont privilégiées. Les ateliers bénéficient ainsi d’une multitude de fenêtres.

En outre, les fenêtres des appartements sont le plus souvent doublées, permettant de garder la chaleur. Des fourneaux en maçonnerie viennent renforcer cette dernière. En effet, les doigts ne doivent pas être engourdis !

Sonnenbau

Au sud des bâtiments, on trouve des jardins communautaires. Jouissant d’un ensoleillement optimal, ces espaces favorisent le vivre-ensemble, la convivialité, mais aussi la présence de potagers. 

Histoire et structure économique

L’urbanisme horloger est intrinsèquement lié à l’histoire des deux villes des Montagnes neuchâteloises et en particulier à l’évolution de la structure de production et son niveau de capitalisation. Plusieurs périodes peuvent ainsi être dégagées :

La sous-capitalisation, propre aux horlogers paysans et à l’établissage, semble avoir permis l’ancrage et l’essor de ce secteur. Celle-ci a contribué à son développement conjointement, selon l’historien Pierre-Yves Donzé, à d’autres causes (niveau culturel relativement élevé; savoir-faire antérieur; organisation libre du travail; existence de réseaux commerciaux antérieurs) [5]. Jean-Jacques Rousseau écrivait : « ce qui parait incroyable, chacun réunit à lui seul toutes les professions diverses dans lesquelles se subdivise l’horlogerie, et fait tous ses outils lui-même ». Des figures emblématiques vont progressivement émerger, à l’instar de celle de Daniel Jeanrichard (1665-1741), vouée à un véritable culte au siècle suivant.

Au début du 20e siècle, le capitalisme industriel, en mains familiales, va concentrer, parallèlement à l’expansion de la division du travail, la production dans de grandes entités, les usines. Le patronat et leur famille quittent alors petit à petit ces dernières pour se faire construire de vastes et somptueuses maisons d’habitation. La crise des années 1920 oblige le secteur horloger à une profonde réorganisation et pousse les autorités à un véritable “sauvetage national” [6], passant par la création du cartel horloger et la mise en place d’une politique dirigiste et interventionniste. L’Après-guerre est marquée par une croissance ininterrompue du secteur.

Se renforçant dès la première moitié du 20ème siècle, le capital financier, soit la pénétration du capital bancaire dans le capital industriel, favorise le passage d’entreprises en mains familiales à des sociétés possédées par un actionnariat national. La deuxième partie du 20e siècle est marquée par la mondialisation et, hormis quelques exceptions, par l’intégration a des holdings et un transfert des centres de décisions sur l’international.

Si certaines bâtisses historiques d’enseignes horlogères restent des centres de production au rayonnement international, d’autres se transforment progressivement en loft et habitations.

Spécificité de la Mère commune

Notons que ces différentes phases sont encore perceptibles sur le territoire du Locle. La cité constitue un témoin privilégié du développement de l’horlogerie sur plusieurs siècles. En effet, le grand incendie de 1833, qui ravagea une cinquantaine de maisons au centre de la cité, épargna notamment le Temple et la rue historique du Crêt-Vaillant, avec ses bâtiments imposants, dont la Fleur-de-Lis ou la Maison de JF Houriet. Ainsi, Le Locle témoigne de l’histoire de l’horlogerie sur plusieurs siècles au travers notamment celle de ses horlogers. Les fermes des horlogers-paysans, la demeure de Daniel Jeanrichard, fondateur quasi légendaire de l’horlogerie dans les Montagnes neuchâteloises, la bâtisse du fondateur des montres Tissot côtoient les grandes entités industrielles qui ont vu le jour à la fin du 19ème siècle et au 20ème siècle.  

Conclusion

L’inscription des Villes du Locle et de La Chaux-de-Fonds au Patrimoine mondial de l’UNESCO a permis une valorisation sans précédente des deux Cités. Au niveau technique, celle-ci a été rendue possible, notamment grâce au travail de Jean-Daniel Jeanneret, architecte en charge du projet, de l’architecte de la Mère commune, Jean-Marie Cramatte, et celui de la Ville de La Chaux-de-Fonds, Denis Clerc.

Des horlogers paysans aux enseignes au rayonnement mondial; du travail à domicile aux grandes fabriques; des idées des lumières aux grandes philosophies égalitaires, l’urbanisme des Villes du Locle et de La Chaux-de-Fonds reflète tout un pan de l’histoire de l’industrialisation où s’entremêlent lieux de vie et lieux de production.

Illustrations

Logo de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). Le carré représente le patrimoine culturel; le rond, le patrimoine naturel.

GRAF, L. (dessin), BURKHARD, F. (gravure), Le Locle, env. 1860. Conservé à la Fondation des Moulins souterrains, Le Locle. Tiré de la SHAN.

Bâtiment LE PHARE, Ville du Locle.

Illustration de la Fabrique Zénith, tiré de : https://www.cliniquehorlogere.ch/fr/

Liens

Site de l’urbanisme horloger Le Locle / La Chaux-de-Fonds inscrit à l’UNESCO.

Tiré à part : La Chaux-de-Fonds / Le Locle : Urbanisme horloger inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO, juin 2010.

Visites d’intérieurs secrets

Bibliographie

DE PIERI, Filippo & GRAEUER BIDEAU, Florence (dir.), Porter le Temps : Mémoires urbaines d’un site horloger, MétisPresses, Lavis (Italie), 2021. 

JEANNERET, Jean-Daniel (dir.), La Chaux-de-Fonds / Le Locle, urbanisme horloger, G d’Encre, Le Locle, 2009.

Notes

1. Comité du patrimoine mondial du 27 juin 2009, tiré du tiré à part de “La Chaux-de-Fonds / Le Locle : Urbanisme horloger inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO, juin 2010”, p. 4.

2. MARX, Karl, Le Capital, 1867, Livre IV, chapitre 12, note.

3. Tiré à part de “La Chaux-de-Fonds / Le Locle : Urbanisme horloger inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO, juin 2010”, p. 4.

4. TERRIER, Philippe, Le pays de Neuchâtel vu par les écrivains de l’extérieur : du XVIIIe à l’aube du XXIe siècle, Attinger, Hauterive, 2017.

5. DONZE, Pierre-Yves, Histoire de l’industrie horlogère suisse : De Jacques David à Nicolas Hayek (1850-2000), Editions Alphil – Presses universitaires suisses, Neuchâtel, 2009, pp. 23-25.

6. BOILLAT, Johann, Les véritables maitres du temps : le cartel horloger suisse (1919-1941), Editions Alphil – Presses universitaires suisses, Neuchâtel, 2013, p. 525.

-> Frise chronologique